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Vladimiro Giacchè : "27 ans après, l’Allemagne de l’Est ne s’est pas remise de son annexion par l’Ouest"

Vladimiro Giacchè est un économiste italien, actuellement président du Centre de recherche européenne de Rome. Fin connaisseur de l’Europe et de l’Allemagne, il est l’auteur d’un ouvrage original et riche sur la réunification allemande, Le second Anschluss – l’annexion de la RDA(édition Delga, 2015). Alors que l’Allemagne vient de voter dans le cadre d’élections législatives dont les résultats fragilisent Angela Merkel et quelques jour après le vingt-septième anniversaire de l’unité du pays, il a bien voulu répondre aux questions de L’arène nue.

 

Les résultats des élections législatives en Allemagne ont révélé de profondes divergences entre l’Ouest et l’Est du pays. Dans l’ex-RDA, le parti AfD fait 21,5 %, et est arrivé second. Die Linke y a réalisé ses meilleurs score (16 % contre 9 % au niveau national). J’imagine que vous n’en être guère surpris. Comment l’expliquez-vous ?

Aucune surprise, en effet. C’est la conséquence d’un pays qui reste toujours divisé vingt-sept ans après son unification, en même temps que d’un accroissement des inégalités sociales ces dernières années. Un citoyen qui vit en Allemagne de l’Est a deux fois plus de chances d’être chômeur que s’il vivait à l’Ouest. Et lorsqu’il travaille, il perçoit un salaire inférieur de 25 % à ce que perçoit un travailleur de l’Ouest.

Cela n’a pas grand chose à voir avec l’incapacité supposée des Allemands de l’Est à travailler (car oui, cet argument a parfois été avancé). C’est au contraire lié aux modalités de l’unification allemande. C’est lié au fait qu’à la nécessité de réaliser rapidement l’unité politique, qu’à la nécessité idéologique de supprimer complètement la RDA, ont été sacrifiées des exigences économiques élémentaires, en particulier celle de sauvegarder autant que possible l’industrie et les emplois des citoyens de l’Est. On a pratiqué la politique de la tabula rasa, en établissant le taux de change à un contre un entre le mark de l’Ouest et le mark de l’Est. Ce faisant, on a mis l’industrie de la RDA hors-jeu. Par ailleurs, l’ensemble du patrimoine industriel de l’ex-RDA a été confié à une société fiduciaire, la Treuhandanstalt, qui l’a liquidé, créant instantanément des millions de chômeurs. Il est beaucoup plus facile de fermer une industrie que de la reconstruire. Mais depuis, on s’est hélas rendu compte que lorsqu’on désindustrialise un pays (la désindustrialisation de la RDA n’a aucun autre exemple en Europe en période de paix) les conséquences peuvent durer des décennies, sinon des siècles. Le « Financial Times Deutschland » du 18 juin 2008 affirmait d’ailleurs que pour aligner complètement les revenus des deux parties de l’Allemagne, il faudrait 320 ans…

Le plus ridicule est que l’unification de l’Allemagne nous est présentée aujourd’hui comme une réussite opposable, par exemple, au destin du Mezzogiorno italien. La vérité, c’est que de tous les pays ex-socialistes d’Europe orientale, les territoires de l’Allemagne de l’Est sont ceux qui, en valeur absolue, ont connu le moins de croissance ces 27 dernières années. Il est dès lors normal que les citoyens qui vivent dans ces territoires se sentent abandonnés par la politique, et qu’ils expriment leur protestation par le vote. D’autant que comme on le sait, le pourcentage de pauvres (et de travailleurs pauvres – les working poors) en Allemagne a augmenté partout ces dernières années, et pas seulement à l’Est. C’est aussi le résultat du fameux « Agenda 2010 » de Schröder que Macron, à ce qu’il semble, veut aujourd’hui reproduire en France.

 

Dans votre livre, Le second Anschluss vous expliquez qu’au moment de la réunification, l’ex-RDA a été « criminalisée », que ses élites ont été écartées. Outre les problèmes économiques générés par une unification brutale, tout cela n’a-t-il pas généré également un traumatisme identitaire ?

Oui, c’est un autre aspect considérable et peu connu de cette affaire. L’élite, non seulement politique mais aussi scientifique et culturelle de l’ex-RDA, a été complètement évincée. Aujourd’hui encore, rares sont les professeurs des universités enseignant à l’Est qui ne proviennent pas de l’Ouest. Dans la magistrature et dans l’armée, la proportion des « Ossies » est quasi nulle. Tous les instituts et les académies de l’Est ont été liquidés en un temps record. Certains, tel le juriste et éditorialiste Arnulf Baring, sont même allés jusqu’à écrire des citoyens de l’Est qu’ils avaient été « mentalement altérés » par le « régime collectiviste », et qu’ils étaient donc devenus malgré eux un « élément freinant d’un point de vue systémique ».

Ces pratiques et ces propos ont évidemment contribué à engendrer dans une large frange de la population d’ex-Allemagne de l’Est, la sensation d’avoir été colonisée, et de voir mise en cause sa propre identité. Il est d’ailleurs intéressant d’observer que la population de l’Est ne partage guère l’idée – majoritaire dans le monde politique et dans les médias mainstream – selon lequel tout ce qui existait en RDA, méritait d’être éliminé. Un sondage commandé par le gouvernement à l’institut de recherche EMNID pour le vingtième anniversaire de la chute du Mur a en effet montré que 49% des habitants de l’ex-RDA approuvaient l’affirmation suivante : « la RDA avait plus d’aspects positifs que d’aspects négatifs. Il y avait des problèmes, mais on vivait bien ». Pour les « Ossies », la diabolisation de la RDA a donc largement été perçue comme une mise en cause de leur histoire personnelle et de leur identité.

Lire l’entretien entier sur les-crises.fr

Approfondir l’histoire de l’Allemagne avec Kontre Kulture :

La réunification « politique » de l’Allemagne n’est pas pour demain,
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7 Commentaires

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  • Regrets de la RDA ? De la fameuse "bolchevita" ?

    Il fallait tout de même sortir de ce système de fous. Les allemands de l’Est étaient infantilisés. Ils avaient tous leur carrière tracée du jardin d’enfants à la retraite. La libéralisme total est anxiogène mais les allemands semblent tout de même assez solidaires. Ils ont bien géré l’unification.

     

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    • Hélas, s’il est une constante européenne c’est bien celle qui nous enseigne que le continent connait la paix et la stabilité quand l’Allemagne est désunie. Le départ des russes d’Allemagne de l’est (où ils contrebalançaient les américains) ; maintenant, les guerres européennes recommencent et les vaincus connaissent déjà un sort terrible (il suffit de voir là où en sont les grecs qui sont sortis de l’existence ; un somalien qui meurt fait plus de bruit qu’un cancéreux grec ... et personne ne dit rien !)

       
    • L’éternel et mythique argument des Européens de l’Est "infantilisés"...et les Français ? Il n’y a pas plus encadrée, normée, dirigée, régulée que la société française ! En vérité c’est l’aspiration à une vie stable, c’est à dire à la garantie d’avoir un travail à vie, offrant les conditions minimales permettant d’élever une famille dans des conditions relativement décentes qui est considérée par les néo-libéraux comme infantile. Or cette aspiration est le propre de toute les créatures vivantes ! Ce n’est ni plus ni moins que la loi de l’homéostasie ! C’est de l’instinct de survie on ne peut plus légitime et naturel. Aucune créature recherche la précarité !

      Dans la même veine l’autre jour j’entendais un con qui critiquaient les gens se plaignant de toucher des salaires minables de ne pas se bouger le cul pour monter en grade, créer leur propre entreprise...en fait le mec n’avait pas réalisé que dans nos sociétés tout le monde ne pouvait pas être chef d’entreprise, responsable de projet, ingénieur ou créateur d’une start-up et que même en admettant que tout le monde aient les compétences et la volonté de le faire, le fait est que le marché du travail ne pourrait tout simplement pas les absorber ! De plus ce n’est pas de la faute des gens si la majorité des emplois proposés dans une société post-industrielle occidentale sont des jobs dans le tertiaire de faible qualification dont la demande excède largement l’offre ! On ne peut pas reprocher aux gens d’aspirer à ce que leur salaire pour un job à plein temps leur permette d’au moins vivre normalement quand rien d’autre ne leur est proposé ! Et même dans le secteurs primaire et secondaire les salaires sont comprimés car en raison du néo-libéralisme on met en concurrence des pays comme la France avec des pays comme l’Ukraine ou le Vietnam avec des salaires mensuelles de 100 ou 200 euros par mois !

       
  • Les 2 Allemagnes ont toujours voulu se réunir,c’est évident ;même histoire,même culture,même langue ;imaginerait-on la France "coupée" à la Loire par un fait du sort,ne voulant pas réunir ses deux moitiés ?A l’époque les allemands de l’Ouest devaient être à peu près 60 millions et ceux de l’Est 15 millions,l’auteur extrapole beaucoup...même si certaines choses sont vraies,il grossit leur importance.Peut-on poser une question ?:les deux RFA/RDA voudraient-elles se séparer aujourd’hui ?

     

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    • C’est faux, dans l’histoire, l’Allemagne a toujours été une mosaique d’états indépendants , comptant plusieurs centaines d’éléments .C’est Napoléon premier qui a procédé à une première simplification , puis la Prusse qui en 1870 a , manu militari, fait l’unité sous son commandement .Le " nationalisme régional " est toujours fort et l’esprit d’indépendance développé , comparer l’Allemagne à la France, pays centralisé de longue date et différent tant dans ses lois, ses mentalités , ses structures n’a pas de sens .

       
  • Si le système oligarchique nomade et apatride de type fripattali/Soros et ses merdias nous ont désigné l’Allemagne de l’est comme pestiférée, c’est qu’il faut ou nuancer ou croire le contraire.
    Nous avons été abreuvés par des films, reportages et fictions sur" l’horreur de vivre en RDA" comme aujourd’hui " l’horreur de vivre en Corée du Nord" entre une pleurnicherie de lumière et une connerie à la gloire des USA.
    On mesure l’atomisation "stupeur et tremblement" du peuple Allemand à l’obligation de repentance innouïe dont la majorité fait preuve.

     

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  • Je crois que c’est sur le saker francophone que j’ai lu à peu près ceci, de la part d’un ex-citoyen d’URSS ou d’Europe de l’est (je ne me rappelle plus exactement) :



    « Si les frontières étaient fermées, c’était moins pour nous empêcher de sortir que pour empêcher la merde d’entrer »



    Sans faire des ex-pays de l’est des paradis, loin de là, je pense qu’on peut reconnaître qu’il y avait du vrai dans cette phrase, et que tout n’était pas mauvais dans les pays de la consommation restreinte.

    Quant au remplacement des élites de l’est par celles de l’ouest en Allemagne, c’est tout à fait exact, j’en connais des exemples dans le monde académique. Bien des universitaires de l’ouest ont vu leur carrière subitement prendre de la vitesse en échange d’une demi-expatriation à l’est.

     

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