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Pourquoi certains juifs préfèrent vivre en Sibérie plutôt qu’en Israël

La Région Autonome Juive du Birobidzhan est l’une des destinations des Juifs quittant Israël pour retourner en Russie, et ils sont de plus en plus nombreux à le faire.

Birobidzhan dans la Région Juive Autonome à l’extrême est de la Russie a attiré des Juifs parlant Yiddish avant que Staline ne les oppresse. Des réfugiés commencent à revenir d’Israël pour s’y installer.

A première vue Birobidzhan ressemble à n’importe quelle autre ville de Sibérie, avec ses statues massives de Lenine, son monument commémorant la II Guerre Mondiale, et des blocks d’appartements vétustes de l’époque soviétique. Puis on note des symboles juifs partout, de l’énorme Ménorah (chandelier ndlt) dominant la place principale au panneau en yiddish à la gare souhaitant la bienvenue au « Biribidzhan » aux voyageurs.

Ces symboles rappellent que ce territoire sibérien en bordure de Manchourie et situé à l’est de Moscou est une République juive. La Région Autonome Juive a été créée il y a 75 ans par Staline comme alternative au projet sioniste en Israël. Au moins 18 000 Juifs sont venus s’y installer. D’abord florissante avec ses théâtres yiddish, ses écoles, et ses journaux partout, Staline s’est empressé d’éliminer ses élites. Ceux qui pouvaient s’enfuir l’ont fait. La dernière synagogue de Birobidzhan a brûlé dans les années 50 et aujourd’hui, seulement 6000 des 200 000 résidents dans la région s’identifient comme Juifs.

Mais le rêve juif en Sibérie n’est pas tout à fait mort et on assiste actuellement dans la région à un petit renouveau grâce à des Juifs arrivant d’Israël.

Dans un resplendissant complexe communautaire juif qui comprend une synagogue construite il y a 5 ans, Oleg Oroshko, un ouvrier du bâtiment de 60 ans qui a passé dix ans en Israël explique pourquoi il est rentré chez lui. « En Russie c’était le chaos et nous ne voyions pas de futur pour nos enfants donc nous sommes partis, mais nous étions des étrangers là bas alors nous sommes rentrés chez nous. »

L’optimisme ici est alimenté par une agriculture en plein essor et des exportations de matériaux bruts à la Chine voisine. Mais la renaissance juive reste fragile.

Boris Kotlerman, un professeur à l’université Bar Ilan en Israël s’est occupé sur place d’un stage d’été de Yiddish pour des diplômés pendant deux ans avant qu’il ne se termine l’été dernier. « La République Juive a un bon potentiel pour un véritable renouveau, mais les autorités maintiennent le statut quo… Elles ne sont pas vraiment intéressées pour le faire avancer » a dit Kotlerman par téléphone d’Israël. Ces dernières années, la Russie a cherché à transformer ses régions à minorité ethnique en régions plus grandes à domination russe.

Néanmoins, Roman Leder, le chef de la communauté ici dit que 80 familles sont parties l’année dernière mais que 120 sont arrivées. Il a ajouté que « plus reviendraient si elles avaient l’argent pour le faire » « Il y a une décennie je vous aurais dit que cela était une expérience vouée à l’échec mais plus maintenant. Le renouveau juif est évident. Dans le futur nous pourrions même devenir le centre pour le Yiddish qui sait ? »

Au début avant que Staline ne s’en prenne à la communauté, des Juifs venaient du monde entier pour construire leur propre version d’un paradis des travailleurs et partager le Yiddish, la langue mixte Allemand Hébreu qui utilise les caractères hébreux en voie de disparition, et qui a été autrefois parlée par des millions de juifs européens.

« C’était l’opposé de Babylone. Quand Babylone a été détruite chacun a arrêté de comprendre l’autre, ici des personnes sont venues de 14 pays différents et ont communiqué les uns avec les autres en parlant une seule langue : le Yiddish » a dit Yosef Brenner, un historien de renom local.

Selon Valery Gurevich, le vice gouverneur de la région (il est Juif comme le gouverneur) « le Yiddish devrait être développé, et on ne doit pas le laisser mourir, mais cela doit être fait volontairement. Si vous essayez d’imposer une culture aux autres vous pouvez provoquer des protestations internes. Actuellement tous est tranquille gardons les choses comme elles sont ».

Actuellement le Yiddish est la langue d’enseignement dans l’une des 14 écoles publiques seulement bien que la culture juive et la littérature soient étudiées partout. En Septembre dernier deux écoles représentant un quart des élèves de la ville ont commencé des cours obligatoires de Yiddish pour les enfants âgés de 6 et 10 ans.

Natalia Mohno, qui n’est pas juive, dirige la maternelle Menora. L’école accueille à la fois des élèves juifs et non juifs, un symbole de la tolérance dans un pays avec une longue histoire d’antisémitisme.

Des images montrant des fêtes juives sont accrochées tout le long des murs du couloir sombre de l’immeuble en briques de deux étages.i [« Des parents non juifs amènent leurs enfants ici parce qu’ils considèrent que tout ceci fait partie d’eux. Nous avons même des enfants chinois. Tout le monde est intéressé par le Yiddish et le Judaïsme »]i , dit Ms Mohno, alors que des groupes d’élèves bruyants remplissent les couloirs quelques uns s’arrêtant pour dire « shalom ».

La charmante Helena Sarashevskaya édite la section yiddish du principal journal local, le Birobidzhan Shtern, bien qu’elle ne soit pas juive. « De nombreux auteurs qui écrivent sur la région ne le font qu’en Yiddish, donc c’est normal que j’ai voulu l’apprendre. Au début c’était dur, les lettres sont inhabituelles on lit de droite à gauche, cela n’avait pas de sens, mais j’ai appris lentement et j’ai réalisé que le Yiddish n’était pas simplement une langue cela portait aussi sur l’histoire juive, et la littérature et notre culture. » a dit Ms Sarashevskaya.

Nulle part ailleurs les liens entre les Juifs et les Non juifs ne sont plus clairs que dans cette toute petite deuxième synagogue de Birobidzhan, située dans les faubourgs de la ville. C’est Chabbat et cela pourrait être un village juif du XIXème siècle s’il n’y avait pas le téléphone au coin de la rue. L’immeuble n’a pas plus de 40 places de long deux faux plafonds et un petit toit. Une douzaine de paroissiens, l a plupart d’âge mur sont assis sur des bancs un simple rideau séparant les hommes des femmes.

Le rabbin, Dov Kaufman, un homme affable qui marche avec une canne, dit quand la cérémonie est terminée : « j’adore Israël, mon fils est maintenant là bas pour servir dans l’armée mais ici c’est ma patrie. » (La phrase de trop dans ce récit ndlt) Brusquement un voisin non juif s’arrête pour dire bonjour s’asseyant sur l’un des bancs. Ingénieur de formation, Yevgeni Stolbov, a supervisé la construction de la plupart de Birobidzhan et est maintenant à la retraite.

« J’adore venir ici, je ferais n’importe quoi pour aider cette synagogue, cela fait partie de ma vie et je veux la voir ici pour toujours » dit-il alors que son ami, le rabbin, regarde avec un sourire.