Egalité et Réconciliation
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Dialogue en enfer : descente au neuvième cercle

Dans une plaine d’ombre rouge, vaste comme l’orgueil des empires déchus, le feu léchait les cieux comme un remords montant vers Dieu. Là, sous un ciel de suie strié d’éclairs sans fin, les damnés avançaient, lents, harassés, silencieux, traînant derrière eux les chaînes rouillées de leurs illusions.

 

Jadis, ils avaient été rois, ministres ou chefs de guerre ; maintenant, ils étaient poussière traquée par la honte. Ils n’avaient plus de voix – seulement des soupirs. Ils n’avaient plus de noms – seulement des fautes.

Parmi eux s’avançait un homme – silhouette courbée, costume froissé, cravate pendante comme un drapeau en berne. Son regard, jadis braisé par les caméras et les discours, n’était plus qu’un tison éteint.

C’était l’ombre de Volodymyr Zelensky, exilé de toutes choses : du pouvoir, de l’histoire, et de lui-même.

À l’ombre d’un olivier carbonisé par les fumées des défaites morales, se tenait une figure droite, digne, immobile comme une statue dressée sur les ruines du siècle passé. Son uniforme usé gardait la raideur glorieuse des draps que l’on ne plie que dans les mausolées. Cet homme, à la maigreur presque biblique, portait sur le visage cette expression dure et calme qu’on ne trouve que chez ceux qui ont vu la mort à hauteur d’homme, dans la boue et l’honneur mêlés. Il fixait l’ancien président, non avec colère, mais avec cette tristesse glaciale qui précède la foudre.

Puis, enfin, la voix se leva – rauque, terrible, charriant les gravats de l’histoire. Une voix qui sentait le sang, la neige, la poudre, le deuil et l’honneur. Une voix qui semblait sortir d’une tranchée encore fumante :

« Te voilà donc, Volodymyr... Fléau d’un sang que j’ai versé avec honneur. Héritier indigne d’un peuple que j’ai protégé sous les obus, et que tu as livré à l’infamie. »

Le président déchu chancela. Une brume de honte couvrit ses yeux. Puis, dans un souffle qui n’avait plus rien de royal, il dit :

« Cette ombre, cette voix... je la reconnaîtrais parmi mille hurlements. Grand-père... Est-ce bien toi ? »

Semyon Ivanovych Zelensky, survivant du front de l’Est, était l’un des rares soldats juifs de l’Armée rouge à avoir vu Berlin sans y mourir. Le feu dansait autour de sa silhouette comme s’il craignait de le consumer. Ses médailles mortes brillaient d’un éclat triste, comme les étoiles d’un ciel que plus personne ne regarde.

Sans proférer la moindre parole, le vieil homme s’avança d’un pas mesuré, mais d’une résolution inébranlable, semblable à celui de ces vétérans de la Grande Armée, qui, sentant déjà la froide étreinte du trépas, n’en marchaient pas moins vers la mitraille le front haut. Arrivé à quelques pieds de l’indigne rejeton de sa race – car il ne pouvait plus, sans se trahir lui-même, l’appeler « petit-fils » –, il s’immobilisa. Un silence sépulcral pesa sur la scène.

Puis, comme mû par une colère que le temps n’avait pas émoussée mais durcie comme l’acier, il cracha. Non pas ce crachat vulgaire que la foule jette par mépris, mais une expectoration sombre, visqueuse, d’un noir de suie, un poison extrait des entrailles des morts, ces morts qui refusent de pardonner, qui refusent de se taire quand les vivants trahissent leur sacrifice :

– « Je priais pour que jamais mes yeux d’ombre ne te revoient. Car ici, mon garçon, nous ne parlons pas d’honneur : nous parlons de mémoire, et tu as souillé la nôtre. »

– « Grand-père... » s’exclama Volodymyr d’une voix tremblante, mais sèche « comment peux-tu dire une chose pareille ? Je... je t’ai honoré. Chaque 9 Mai, je portais ton portrait. J’ai dit ton nom. J’ai prié pour toi. Tu étais mon exemple. »

– « M’honorer ? » s’indigna le vieux soldat en uniforme. « Je t’ai porté enfant sur mes épaules, mais toi tu portes mon nom comme on porte un déguisement de carnaval : sans honneur, sans poids. Tu ne portes pas mon nom – tu le piétines. Je n’ai pas traversé les marais gelés de Biélorussie, le ventre vide, le fusil gelé aux mains, pour que mon petit-fils livre mon héritage aux chiens du fascisme. Ai-je donc versé mon sang dans les tranchées de Koursk, ai-je vu mes camarades cramer dans leurs chars T-34 pour qu’un Zelensky s’allie aux héritiers de Bandera ?! Sache que le feu qui me dévore ne brûle pas autant que le dégoût de te voir ici. »

Il se détourna, lentement. Des ombres silencieuses se levèrent derrière lui – soldats tombés à Stalingrad, partisans sans sépulture, enfants morts sous les balles de Lvov. Volodymyr essaya de se défendre à nouveau :

« Je ne suis pas nazi ! Je suis juif ! Je porte la mémoire de l’Holocauste dans mes veines, l’exil, la persécution… Comment pourrais-je soutenir ceux qui portent le même uniforme que mes bourreaux ? »

Ce cri, cette défense maladroite, fut accueillie par un silence d’air glacé, plus coupant et plus profond que les hivers sibériens dont le vent transperce jusqu’à l’âme.

Puis, dans ce mutisme pesant, s’éleva la voix calme, ferme, de Théodore Herzl, dont le regard semblait sonder l’abîme d’une époque dévoyée :

« Tu te caches derrière ta judéité comme derrière un bouclier, Volodymyr. Mais ce mot – juif – ne te protège pas de la critique. Car l’histoire nous a enseigné que la judéité, à elle seule, ne garantit ni justice, ni humanité. »

Herzl, le front plissé, les yeux brûlants d’un feu intérieur, fixa son interlocuteur avec une sévérité presque divine, avant de prononcer, lentement, chaque mot chargé du poids d’une vérité trop longtemps tue :

« Tu parles du nazisme comme d’une bannière étrangère, un fléau externe, alors même qu’il a existé – et qu’il existe toujours – une forme terrible de nazisme… juif, oui, juif dans son essence même, qui s’est incarné dans certaines actions et politiques que tu n’oses pas regarder en face. Observe Gaza, ce théâtre de la souffrance où Netanyahou perpètre des massacres que même Hitler n’aurait osé rêver en termes d’inhumanité systématique. Vois ces bombes tombant sur des civils, ces enfants pulvérisés, cette vie arrachée sans jugement, dans le silence complice de l’Occident. »

Un voile d’amertume passa sur les traits d’Herzl, comme un spectre venu hanter les espoirs brisés de ses rêves sionistes.

« Je regrette, Volodymyr… J’ai réveillé des forces endormies au sein du judaïsme – des passions et des haines que je croyais éteintes, et qui ne cessent de nourrir la douleur au Proche- Orient. Je porte en moi le poids d’une vision qui a dégénéré, qui s’est retournée contre elle-même, créant non pas un refuge pour mon peuple, mais un champ de batailles où la justice se noie dans le sang. Mon supplice, à moi, est fait de cette conscience brûlante. Mais il est doux et court comparé à celui qui t’attend, Volodymyr. Toi qui as trahi non seulement ton peuple, mais l’histoire elle-même, toi qui as violé la mémoire sacrée des morts. »

Le silence retomba, plus lourd, plus vaste, comme une mer sans rivage où flottent les regrets des hommes qui ont voulu changer le monde, mais qui n’ont trouvé que des miroirs brisés.

« Je… je n’ai fait que défendre mon pays », balbutia Volodymyr, tel un homme naufragé tentant de s’accrocher aux dernières planches flottantes de sa conscience. « Je n’ai fait que répondre à l’agression. L’Ukraine a droit à sa souveraineté ! »

À cette déclaration, un silence presque liturgique s’installa, brisé soudain par le fracas d’une voix caverneuse, profonde, terrible, pareille au tonnerre roulant dans les entrailles du Caucase :

« Souveraineté ? » tonna le vieux Zelensky, dont les traits, taillés par le feu et la cendre des batailles d’antan, prenaient dans la pénombre un relief tragique. « Tu prononces ce mot comme un enfant joue avec un sabre émoussé, sans comprendre qu’il fut trempé dans le sang des martyrs ! Tu oses parler de souveraineté quand tu traînes le drapeau souillé des héritiers de Bandera ? Tu lances tes appels à l’Occident comme un naufragé appelle les corsaires, et ce sont des bras tendus vers le Soleil noir qui répondent à ton cri ! »

Il s’interrompit un instant, et son regard, transperçant comme une lame, fouilla les traits décomposés du jeune homme :

« Petit-fils d’un officier de l’Armée rouge, auréolé de gloire pour avoir brisé les troupes de la Wehrmacht à Kharkov, à Budapest ! Et toi, misérable parjure, tu t’es roulé dans les bras du régiment Azov, comme un comédien qui pactise avec ses bourreaux pour une réplique de gloire. Tu n’es pas un président : tu es le pantin d’une tragédie dont tu ignores encore la fin. »

Volodymyr baissa les yeux, comme si un poids invisible lui écrasait l’âme :

« Les temps ont changé… » murmura-t-il, plus à lui-même qu’à son accusateur. « Ce n’est plus la même guerre. Il s’agit de choix, de stratégie, de politique…

Mais le vieillard, dont le torse amaigri se soulevait sous l’effort de la colère, pointa vers lui un doigt tremblant comme une baïonnette rougie par l’histoire :

« Non. Ce ne sont pas des choix. Ce sont des trahisons. Trahisons des morts et des vivants ! Tu n’as pas seulement perdu la guerre, tu as trahi la victoire ! »

Il fit un pas en avant, l’œil incandescent d’une fureur sacrée :

« J’ai vu tomber mes camarades, le sang dans la neige, les cris dans les ruelles, pour que l’Europe se relève du venin nazi. Nous n’avions pas Internet, mais nous avions la mémoire ! Et toi ? Pour de l’or occidental, tu as effacé des livres d’histoire les sacrifices de ta propre famille. Tu as nourri les cendres encore chaudes de Babi Yar avec les promesses de l’OTAN. »

Le jeune homme, écrasé par la violence de ces mots, murmura comme une incantation défensive :

– « Les temps ont changé, la Russie... celle d’ aujourd’hui... n’ est pas l’URSS d’hier. Elle attaque, elle ment, elle envahit. »

– « La Russie ! » répéta l’ancien, avec un éclat qui fit vibrer l’air autour de lui. « Tu oses salir le nom de ce géant qui, avec nous, a libéré Auschwitz ? Cette Russie, c’est la mienne ! Tu confonds les peuples et les tyrans, les enfants de ma terre avec les ombres peintes par les mains de l’OTAN. Tu as creusé une tranchée entre frères, non pas pour les défendre, mais pour y semer les graines d’une haine que nous avions juré de faire mourir. Tu as fait de l’Ukraine un charnier moral, et de ton nom un linceul sans blason. »

Volodymyr n’essaya même plus de se défendre. Il laissa tomber, las :

« C’est plus compliqué que ça… »

Alors le vieux se redressa, tel un chêne centenaire dans la tempête, et sa voix, en se brisant, devint plus effrayante encore :

« C’est toujours plus compliqué quand la honte veut se faire oublier ! Tu as troqué l’héritage des tombeaux sacrés contre les paillettes des studios de télévision. Tu as paré l’ennemi d’hier du vernis de l’héroïsme, vendu les cicatrices de notre peuple au bazar des alliances, aux marchands de canons. Tu n’as pas seulement trahi ton sang, Volodymyr, tu as trahi les morts. Et les morts, eux, ne pardonnent pas. »

Le vent se leva, portant avec lui les lamentations des enfants morts, les prières sans réponse des mères, les chants patriotiques déformés en cris de haine.

C’est alors que, du néant, émergea une silhouette dont la démarche avait la majesté du destin et la fatigue des âges. Il semblait vêtu non d’un manteau, mais de poussières glorieuses ; ses traits, ciselés par les siècles, portaient l’empreinte de toutes les douleurs antiques. C’était Achille, le Péléide, le demi-dieu fulgurant des poèmes épiques.

Ses pieds portaient la marque de mille combats ; ses bras, les cicatrices de querelles perdues et de victoires sans lendemain ; son visage, l’expression ambiguë de ceux qui ont servi des causes plus nombreuses qu’ils ne peuvent se souvenir. Ses yeux, bleus comme les mers qu’il avait jadis traversées, flamboyaient d’un feu désormais douloureux, non de colère, mais de dégoût.

Il s’arrêta entre les ombres en querelle. Et dans un souffle que le vent lui-même osa à peine troubler, il parla avec une voix que l’on aurait crue sortie d’un conseil militaire tenu dans l’Hadès des anciens Grecs :

– « J’ ai participé à mille guerres. Sous des étendards qu’ on m’ imposait ou que je choisissais dans la confusion de ma jeunesse. J’ai versé le sang des innocents comme celui des coupables. J’ai prêté mon bras à des rois menteurs, à des peuples ivres de grandeur. J’ai versé le sang pour la gloire, pour la vengeance, pour des causes nobles, pour des haines honteuses. J’ai traîné Hector par les pieds autour des murailles de sa ville, et pourtant… même moi – Achille, l’homme à la colère terrible –, je n’ai jamais pactisé avec ceux qui brûlent les livres, car ils tuent deux fois : ils assassinent les hommes, puis leur mémoire. Jamais je n’ai glorifié la croix de la haine, celle que peignaient les nazis sur les murs de l’Europe comme un présage d’extermination. »

– « Je n’ai pas trahi ! » cria Volodymyr, pâle et fiévreux comme un roi déchu. « J’ai défendu mon peuple, J’ai résisté ! »

Son regard cherchait une approbation, une justification, fût-elle venue des Enfers.

Achille se tourna lentement vers lui. Ses yeux n’étaient plus de guerre mais de pierre. Une pierre sculptée par la lassitude, l’abandon, et cette tristesse haute qui est le fardeau des hommes lucides.

« Vous appelez cela résistance ? Moi, j’y vois le masque hideux de la lâcheté et de l’ignorance unies. Vous parlez de démocratie ? Mais vous avez muselé l’opposition, interdit des partis, fermé des médias. Vous parlez de liberté ? Mais vous avez offert votre peuple à l’OTAN comme une vierge sur l’autel du dieu Mars. Vous parlez de défendre votre peuple. Mais lequel ? Celui dont on étouffe la langue maternelle ? Celui que l’on bombarde dans les steppes grises du Donbass ? Vous croyez que résister, c’est exclure ? Non, résister, c’est rassembler. C’est unir dans la dignité les frères séparés par les siècles. Et vous, hélas, vous avez rouvert les tombeaux. Vous avez réveillé les spectres qu’on croyait à jamais ensevelis. Vous avez tendu la main à ce bras levé que vos aïeux avaient pourtant brisé dans la neige rouge des steppes. »

Un silence pesant retomba – non celui du respect, mais celui de la sentence.

Il y avait, dans le regard d’Achille, moins la fureur des dieux que la résignation d’un homme qui a trop tué pour croire encore au mensonge de la guerre. Alors, sans attendre ni réponse ni excuse, il tourna les talons et s’en alla, lentement, comme on quitte une ville qu’on ne peut plus sauver.

Le silence qui pesait comme un linceul sur cette plaine désolée fut soudain déchiré par un fracas terrible, un martèlement inouï qui semblait jaillir des profondeurs mêmes de la terre. C’était le bruit sourd et implacable d’un million de bottes fantomatiques, foulant un sol invisible, résonnant comme un chœur funèbre, celui des morts anonymes, des fils de l’Ukraine tombés, délaissés, sacrifiés au nom d’une guerre qui ne leur appartenait plus.

Au milieu de cette armée d’ombres se détacha une silhouette imposante, une figure à la fois terrible et douloureuse, qui s’avança vers l’homme responsable de son malheur. Sa voix, tremblante d’une amertume qui crevait le silence, s’adressa au président déchu avec la force d’un reproche chargé d’histoire et de sang :

– « Vous avez fait de la résistance une pantomime, un spectacle d’ombres pour des parlements étrangers. Vos discours, écrits par des plumes étrangères pour séduire des écrans, résonnent dans des salles vides pendant que la jeunesse du pays agonise dans des tranchées creusées non pour leur liberté, mais pour les desseins d’un empire qui n’a jamais été le sien. Vous n’êtes plus qu’un acteur, un simple comédien jouant le rôle d’un président dans un théâtre en flammes. »

– « J’ ai choisi la survie. » balbutia Volodymyr, la voix brisée.

Mais l’homme s’écria, serrant les poings comme pour retenir le poids d’une injustice insondable :

« La survie sans honneur n’est qu’une mort différée ! Vous avez vendu la mémoire de votre peuple pour un instant de pouvoir. Vous avez laissé le feu de la haine consumer nos plaines et l’avez arrosé des larmes amères de ceux qui n’ont plus de voix. Vous n’avez pas défendu un territoire, vous avez glorifié l’oubli, et fait de nos tombes les slogans d’une guerre sans âme. »

Une autre voix s’éleva alors, rauque et solennelle, celle d’un homme qui connaissait les tourments de l’exil et des vérités cachées – Alexandre Soljenitsyne, assis parmi les âmes errantes qui semblaient réciter l’Histoire à l’envers, à contre-courant du temps.

« Celui qui oublie d’où il vient trahit deux fois : il renie ses pères, et il forge des chaînes pour ses enfants. » déclara-t-il avec une gravité implacable.

Les yeux embués de larmes et les mains tremblantes, Volodymyr répliqua, comme un enfant désarmé face à l’immensité :

« Mais que pouvais-je faire ? J’étais seul face à un géant ! »

Soljenitsyne, avec la gravité d’un prophète déçu, répondit :

– « Tu pouvais choisir la paix, même imparfaite, même fragile. Mais tu as préféré être l’instrument des stratèges, le pantin des empires, et le masque d’un peuple qu’on a privé de vérité. »

– « Je voulais être un héros », murmura Volodymyr dans un souffle de désespoir, « On m’avait promis que je deviendrais ; le nouveau Churchill. »

Un silence se fit une nouvelle fois dans l’abîme. Puis, comme soufflé par une cendre d’outre-monde, surgit une silhouette trapue, drapée dans un manteau d’orgueil fané et de cigares mal éteints. C’était Sir Winston Churchill lui-même, les mains derrière le dos, le sourcil levé, le rictus acéré :

– « Le nouveau Churchill, dites-vous ? Par tous les whiskys de l’enfer, il ne manquait plus que cela pour ruiner ma réputation jusque dans l’éternité ! »

– « Je… je voulais défendre mon pays, comme vous l’avez fait face à l’Allemagne… », balbutia Volodymyr en voyant apparaître le célèbre Premier ministre britannique.

– « Ah ! Voilà que le petit acteur de la steppe confond les théâtres de guerre avec ceux du boulevard ! » s’exclama l’homme au cigare en ricanant. « Vous, Monsieur Zelensky, n’êtes pas un Churchill. Vous êtes ce que les Anglais appellent une pierre jetée dans un étang boueux pour faire des ronds… et disparaître aussitôt. »

Alors parut, tel un spectre fatigué errant parmi les ruines du siècle, l’antique ministre des ténèbres, Henry Kissinger en personne. Drapé dans le manteau d’une sagesse glacée, il leva lentement les yeux vers le ciel noirci par les cendres des empires, et, d’une voix qu’on eût dit sortie d’un tombeau impérial, il prononça ces paroles que le vent sembla suspendre dans le silence :

« Il a cru, comme tant d’autres, aux chants enjôleurs des sirènes ; il a prêté l’oreille à la voix feutrée du démon vêtu de soie et de cravate. Nul ne lui avait donc enseigné cette vieille leçon, gravée dans la pierre des républiques déclinantes : qu’il est certes périlleux d’être l’ennemi de l’Amérique… mais qu’il est toujours funeste d’en être l’allié. »

Et sur ces mots, il disparut dans la brume, laissant derrière lui l’écho amer d’un monde qui s’effondre, toujours surpris de mourir de ses amitiés.

– « Vous avez pris les promesses de la perfide Albion pour des alliances éternelles », poursuivit Winston Churchill d’un air moqueur. « Mais ne savez-vous donc rien de l’Angleterre, mon cher ? Elle ne donne jamais sans prendre. Elle n’aime que les martyrs exotiques à usage médiatique, et se retire dès que les tambours se taisent. »

– « Mais vous aussi, vous étiez soutenu par les alliés… », expliqua Volodymyr.

– « Nous ne fûmes jamais de la même étoffe, vous et moi. » coupa sèchement Churchill « J’étais de ceux qui naissent l’épée au flanc et le verbe au galop, taillés pour commander, faits pour écrire l’Histoire à la pointe du sabre. Vous, vous étiez un figurant de province, un cabotin de plateau télé, un faiseur de grimaces recyclé en chef de guerre par la misère des temps. J’ai régné sur un Empire où le soleil ne se couchait que pour se relever ailleurs ; vous, vous administriez les ruines d’un État volé à sa propre mémoire, un territoire dont les élites se disputaient les miettes en anglais et en dollars. J’ai dessiné les contours d’un ordre mondial à la table des maîtres, tandis que vous ânonniez vos suppliques à la table des valets. Je n’ai jamais flatté mes alliés – je les ai conquis. Par le style, par l’intelligence, par la peur qu’ils avaient de ma clairvoyance. Vous, vous vous êtes vendu pour une standing ovation au Congrès, pour un casque militaire mal ajusté devant des drapeaux qui ne sont pas les vôtres ! »

Le vent souterrain hurla à nouveau, comme une salve venue de Normandie, mêlant ironie et ruines. Des ombres riaient dans les tranchées de l’éternité.

« Non, nous n’appartenons pas au même monde », continua Churchill avec un sourire cruel. « On vous acclame parce que vous êtes pitoyable. On m’écoutait parce que j’étais redouté. Mon nom est déjà dans les livres d’Histoire. Le vôtre, hélas, se dissipe déjà dans les brouillards de l’oubli. Vous n’êtes pas le nouveau Churchill. Vous êtes… un figurant dans la tragédie des autres et, qui plus est, un piètre joueur de piano. »

Il se retourna, tira une bouffée de son cigare spectral, et s’enfonça dans les ténèbres où l’attendait le fantôme d’un empire déjà disparu.

Des larmes montèrent aux yeux de Volodymyr, mais elles ne tombaient pas. Car en enfer, même la honte est sèche.

« Vois-tu enfin, aveugle aux lueurs de ta propre chute, l’abîme que tes pas ont creusé ? » dit le vieux Zelensky d’une voix voilée, tandis qu’il se détourna pour s’éloigner dans la brume des souvenirs. « Ceux-là mêmes dont tu cherchais l’approbation s’esclaffent dans l’ombre. Et sache-le : les morts ne rient jamais sans raison. Leur silence est la loi ; leur rire, un jugement. »

À cet instant, Volodymyr Zelensky, vacillant, tendit un bras tremblant, comme pour saisir dans l’ombre ce grand-père qui lui avait autrefois appris à marcher. Mais son pas hésitant vers la réconciliation fut trahi par le sol lui-même qui s’ouvrit comme une vérité oubliée. Le président déchu chancela, vacilla, et tomba. Il n’eut pas le temps de crier. Un cri ne sert à rien quand l’oubli vous appelle.

Il tomba, non parmi la cohorte banale des scélérats qui versent le sang pour un trône ou un coffre, mais plus bas encore, là où le froid n’est plus un climat, mais la sentence même de l’éternité. Là s’étend le neuvième cercle, l’ultime frontière de l’Enfer, le point le plus lointain du cœur de Dieu, la région glacée où s’expient les forfaits les plus impies : la trahison des liens sacrés, l’oubli du serment, la profanation de la fidélité.

Dans ce désert figé, où le vent est né du battement stérile des ailes de Satan lui- même, un lac funèbre y repose, Cocytus, vaste miroir de glace formé des larmes séculaires des générations coupables ; non les larmes brûlantes du repentir, mais celles, amères et stériles, que le remords n’a jamais effleurées. Nul mouvement, nul souffle n’agite cette mer silencieuse ; l’éternité y prend la forme de l’immobilité. Et pourtant, en son sein, s’ouvre une zone plus sinistre encore, comme si l’horreur devait croître même dans l’absolu : une faille sans nom, une ombre au sein de l’ombre que Dante lui-même ne put nommer, où le silence n’est plus absence de son, mais négation de toute volonté.

Là, tout est silence car tout y est absence – absence d’âme, absence de lutte, absence de remords. Nul frémissement de colère, nul tumulte de révolte ; seule s’exhale, comme une vapeur sépulcrale, la lente corruption des volontés éteintes. Ce n’est pas le feu du crime que l’on y sent, mais la cendre froide du renoncement.

Là se tiennent, droits comme des statues fracassées, les ignorants volontaires, les aveugles par choix et les silencieux par intérêt. Ces consciences mortes virent mais ne firent rien ; elles laissèrent s’écrouler les peuples, s’éteindre les voix des innocents, périr la justice, tout cela dans le silence complice d’un regard détourné. Non point par peur – mais par confort.

Rien ne les ronge, car ils ont cessé de sentir. Rien ne les sauve, car ils ont renoncé à lutter. Ils ne sont point damnés à la manière des autres ; ils sont plus bas encore – ils sont le néant incarné. L’Enfer, pour les atteindre, n’emprunte ni la fureur des brasiers ni le tumulte des hurlements : il s’enveloppe de silence comme d’un linceul, il se revêt de glace comme d’un suaire. Renonçant à ses flamboiements grotesques et à ses sulfureux déguisements, il devient un miroir funèbre, où l’esprit déchu ne trouve plus que la pâle image de ce qu’il a trahi.

Partout, des glaces ternes renvoient à ces ombres sans nom le reflet fidèle, inexorable, de ce qu’elles furent– et plus douloureusement encore, de ce qu’elles auraient pu être. Là, dans cet abîme sans clarté ni mesure, où le temps lui-même semble s’être aboli, chaque condamné assiste, comme un spectateur captif de sa propre chute, à la pièce qu’il n’a pas su écrire. Il voit les chemins qu’il n’a pas pris, les paroles qu’il n’a pas dites, les vies qu’il aurait pu sauver. Ce théâtre infernal, mis en scène par la Vérité elle-même, lui fait contempler ce que son courage aurait pu bâtir, et ce que sa lâcheté a détruit. Ce n’est point un supplice – c’est une apocalypse intérieure. Et cette révélation, qui montre non ce qu’ils ont subi, mais ce qu’ils ont refusé d’être, pèse plus lourd que toutes les tortures.

Et tandis qu’il regarde le spectacle terrible de sa propre vie manquée, d’autres visages l’observe en silence. Des enfants partis dans le feu des bombes, des ancêtres qu’il a couverts de honte, des peuples qu’il a menés au gouffre. Ces visages ne hurlent pas. Ils regardent. Et ces regards – muets, fixes, éternels – pèsent plus que mille juges.

Dans cet endroit, nulle chaîne ne lie ces ombres à leur supplice ; nulle muraille ne ferme leur prison ; et pourtant, nulle évasion n’est possible. Car ce qui les retient n’est point un obstacle visible, mais le reflet terrible de leur propre trahison, plus pesant que le plomb, plus tranchant que l’acier. Ici, le feu s’efface, vaincu par la cendre de la honte ; les démons se taisent, car nulle main étrangère n’est nécessaire : le cœur du traître est son propre juge, et son propre bourreau. Et quand vient la nuit, il ne dort pas. On le fait asseoir devant un livre sans fin. Sur ses pages, les noms des morts. À chaque nom, une annotation : « Tu aurais pu l’épargner » ; « Tu n’as pas voulu voir » ; « Tu as préféré ton image à leur vie ». Et chaque nuit recommence à la première page. Car l’Enfer n’est pas qu’un lieu : c’est une mémoire qui ne pardonne pas.

Et parfois, par caprice des ténèbres, on lui permet un songe. Il rêve qu’il est acclamé, que les vivants l’embrassent, que les tombes se taisent. Mais lorsqu’il esquisse un sourire, le sol se fend à nouveau, et mille mères, dans les entrailles de la terre, poussent un hurlement qui fait frissonner les étoiles.

Tel est le supplice de celui qui trahit l’histoire.
Il n’est pas brûlé : il se souvient.
Il ne hurle pas : il comprend.
Et ce qu’il voit est pire que la souffrance : c’est la vérité.
Fernand le Béréen

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