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La Syrie illustre-t-elle une crise de la diplomatie française ?

Ces dernières semaines, plusieurs nouvelles du front syrien ont pu laisser penser aux observateurs les plus attentifs que notre diplomatie avait commis de lourdes erreurs d’appréciation, et qu’une prise de conscience était en cours.

Victime d’une agression extérieure à haute intensité qui a commencé en 2011, l’État syrien mène une guerre pour maintenir l’unité nationale et éviter une désintégration qui transformerait le pays en un Irak bis.

Dès le début des événements, en 2011, la France a pris sans réfléchir des positions tranchées qui semblaient ne laisser aucun avenir au système Assad. Notre ministre des Affaires étrangères nous ressassait en 2011 et 2012 que Bachar el-Assad n’en avait plus « que pour quelques mois », ajoutant que même les Russes « envisageaient de laisser tomber le président syrien ».

Visiblement très mal informée de la réalité de la situation sur le terrain, notre diplomatie n’avait pas envisagé un quelconque scénario alternatif. Pourtant, de nombreux experts non-alignés avaient fait à l’époque d’autres prévisions, qui se sont finalement réalisées : au cours des années 2013 et 2014, la coalition syrienne, c’est-à-dire l’appareil politique et militaire syrien et ses nombreux soutiens intérieurs et extérieurs, allait petit a petit regagner du terrain et connaître d’importants succès militaires et politiques.

Ces succès militaires engrangés au cours des deux dernières années permettent au régime de contrôler aujourd’hui 60 % du territoire et environ 75 % de la population du pays. En parallèle de cette dynamique positive pour le pouvoir syrien, l’opposition dite démocratique s’est retrouvée de plus en plus écrasée entre la puissance des loyalistes et l’éclosion d’une multitude de fractions islamistes radicales à l’influence croissante. Parmi ces dernières, le front Al-Nosra, qui tient une grande poche entre Idlib et Alep, ou l’Émirat islamique, qui contrôle la zone allant de l’est d’Alep à la frontière irakienne dans le nord du pays. Cette carte éditée par le blogueur Peto_Lucem illustre à titre informatif les rapports de force sur le terrain fin janvier 2015.

 

 

Alors que la France s’apprêtait à frapper militairement la Syrie et l’État syrien à la fin septembre 2013, c’est finalement une coalition militaire de 22 pays impliquant puissances occidentales et arabes qui procéda à une intervention militaire au cœur de l’été 2014 mais cette fois contre… l’État islamique et non le régime syrien ! Un renversement historique total.

Il faut rappeler que si l’abominable décapitation du journaliste James Foley a été l’un des déclencheurs médiatiques de cette opération militaire contre l’État islamique, le mainstream médiatique n’a cessé ces derniers mois d’insinuer que ce dernier avait été kidnappé par les forces d’Assad, comme on peut le voir ici.

Alors que l’EI connaît actuellement ses premières défaites militaires importantes, que ce soit face aux forces kurdes (Kobane) ou face à l’armée syrienne (Deir ez-Zor, Palmira…), après presque cinq ans de guerre, Assad est toujours là et il y a désormais peu de chances qu’il s’en aille aussi rapidement que certains avaient envisagés ou que l’Armée syrienne ne soit militairement défaite, sans une intervention extérieure très appuyée. La récente et courageuse visite de parlementaires français en Syrie confirme que l’homme est visiblement « tout sauf isolé (…) parfaitement informé de la situation (…) Et ne compte pas quitter la barque ».

Alors que pour le Président, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères français aucune négociation avec le président syrien ne semble encore envisageable, ce n’est apparemment plus le cas pour la diplomatie américaine, dont la ligne de conduite semble connaître une inflexion assez importante : John Kerry lui-même a admis la possibilité de négociations avec le président syrien. Washington peine, il est vrai, à trouver les milliers de volontaires qu’elle souhaitait former pour aller combattre le régime syrien dans un premier temps, mais dont l’objectif serait désormais d’aller combattre au sol l’État islamique.

Il est plausible que les chancelleries européennes, France en tête, doivent sans doute dans les mois qui viennent revoir leur copie sur le dossier syrien et prendre en compte quelques réalités de terrain.

- Tout d’abord, si le régime syrien semble ne pas pouvoir l’emporter militairement aussi rapidement qu’il l’envisageait, il continue sa reconquête militaire et territoriale.

- Il n’existe quasiment plus en Syrie d’opposition modérée au régime d’Assad (ayant un poids militaire ou politique suffisant) avec qui discuter.

- Un fort consensus international s’établit progressivement sur le fait que la priorité est de neutraliser la nébuleuse « État islamique » pour éviter qu’elle ne devienne un élément supplémentaire et décisif de déstabilisation régionale. Une priorité d’autant plus importante pour l’Occident et la Russie que des milliers de citoyens européens et russes combattent au sein des milices islamiques, ce qui représente un gros risque pour leurs pays d’origine.

Cette équation complexe implique donc que si la guerre continue, l’armée syrienne devrait progresser dans sa reprise de contrôle du territoire syrien ; dans le même temps, il n’existe plausiblement pas d’interlocuteurs crédibles pour remplacer Assad. Dans un tel cas de figure, ce dernier, après avoir déjoué l’agenda des grandes puissances impérialistes (occidentales ou pays du Golfe) pourrait potentiellement apparaître comme un symbole d’un genre nouveau, une sorte de De Gaulle arabe, héros de la souveraineté nationale.

L’équation syrienne pourrait constituer un piège pour la France si notre diplomatie devait s’entêter, pour des raisons idéologiques et non pragmatiques, à refuser de constater que non seulement Assad n’est pas prêt à partir, mais qu’il est aussi la clef du dossier syrien.

Un dossier dont la solution est strictement politique, comme ne cesse de le répéter la diplomatie russe depuis maintenant près de cinq ans.

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