Egalité et Réconciliation
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Texte de la conférence de Michel Drac au centre Saint-Paul

NTRODUCTION

Deux livres* me valent d’être ici aujourd’hui : « Crise ou coup d’Etat ? » et « Crise économique ou crise du sens ? ». Je vais tenter de les synthétiser pour vous.

Commençons par préciser la question : « Crise économique ou crise du sens ? ». Il ne s’agit pas ici de choisir entre ces deux modèles de crise. Les deux crises coexistent, c’est évident. Il s’agit de savoir quelle crise est en amont de l’autre, quelle crise explique l’autre, et comment.

Ma thèse est qu’en amont, il y a la crise du sens.

Formuler cette thèse me paraît utile, parce que poser le bon diagnostic, c’est se donner les moyens de proposer le bon traitement. Il s’agit de remonter à la racine du mal pour sortir des discours circulaires promus, actuellement, hélas, par une grande partie des analystes.

Discours circulaire, bien sûr, de la part des acteurs du bloc institutionnel, dont la pensée s’articule entièrement autour d’une interrogation limitative : « comment maintenir à flot le système socioéconomique, donc politique, qui s’écroule par pans ? ». Interrogation limitative, bien sûr, puisqu’elle évacue d’emblée une question amont : faut-il maintenir ce système ? N’est-il pas, en lui-même, le véritable problème ?

Mais discours circulaire aussi, hélas, cent fois hélas, de la part des contestataires de l’ordre établi, dont la pensée reste enclose à l’intérieur du paradigme défini par le système en train de s’écrouler. Par exemple, qu’il faille, aujourd’hui, revoir les règles du partage de la valeur ajoutée, voilà qui n’est guère contestable. Mais ne faut-il pas aussi, au-delà du domaine économique, poser la question de la valeur ajoutée en elle-même ? S’interroger sur la notion ? Qu’est-ce qu’une valeur ajoutée ? Que signifie « ajouter » ? De quelle valeur parle-t-on ? Voilà les vraies questions.

Dire la crise du sens est aujourd’hui une étape incontournable, pour pouvoir, enfin, formuler ces vraies questions. Il s’agit de comprendre dans quelle prison nous sommes enfermés, pour pouvoir ensuite nous en évader. Il s’agit de prendre conscience des prédicats non dits, et souvent non sus, du système dont nous subissons aujourd’hui l’évolution cataclysmique. Il faut comprendre d’où vient ce système, ce qu’il traduit en profondeur, quel sens il construit – ou ne construit plus.

Pour approcher ces questions-là, je vous convie aujourd’hui à un petit exercice de réflexion.

Je n’entends pas, ici, apporter des réponses. Je veux proposer une manière de poser le problème. Je ne suis pas là pour dire « voilà le vrai ». D’abord, parce que je ne suis pas qualifié pour dire cela. Ensuite, parce qu’il est de toute manière trop tôt. Il s’agit ici de dégrossir les briques de base d’une critique à bâtir.

Pour la clarté et la vie de l’exposé, j’ai décidé de raisonner par analogie entre les crises du passé et celles du présent. Bien souvent, l’analogie permet de mettre en lumière une évolution historique lourde que, captifs du flux informationnels instantané, nous ne percevons pas en temps normal.

Deux crises historiques me semblent se répliquer dans la crise actuelle : 1789, la chute de l’Ancien Régime, et 1643, la chute de l’Empire Espagnol.

Commençons par décrire ces deux crises du passé.

L’EXEMPLE DE 1789

1789, c’est la prise du pouvoir par la bourgeoisie. On a glosé, bien sûr, sur une révolution imaginaire : celle faite par le peuple et pour le peuple. Cela n’a jamais existé. Les « foules révolutionnaires », chères aux historiens républicains et marxistes, n’ont en réalité représenté qu’une faible fraction du pays. On a glosé, aussi, sur les résultats imaginaires de cette révolution imaginaire : la naissance d’une démocratie authentique. Balivernes. Disons-le tout net : 1789, c’est la prise du pouvoir par la bourgeoisie, et rien d’autre.

Une classe dominante en remplace une autre, exit la noblesse. Quand le « Tiers-Etat » prend le contrôle de la machine d’Etat, le « Tiers-Etat », c’est la bourgeoisie.

En dispositif annexe, comme toujours dans ce type de situation, il y a remplacement d’une classe productrice de l’idéologie par une autre : la nouvelle classe intellectuelle associée à la domination sera, après 1789, constituée par ce que l’on appelait alors les philosophes – plus tard, on parlera des « intellectuels ». L’ancienne classe productrice de l’idéologie d’Ancien Régime, le clergé catholique, a payé, ce n’est pas à vous que je l’expliquerai, un tribut très lourd à la révolution. En arrière-plan, bien sûr, et là, on touche à la clef de voûte de l’escroquerie de 1789, il y a une religion d’Etat, la Franc-maçonnerie, qui en remplace une autre, le catholicisme.

Voilà les faits.

Essayons d’en dégager les causes.

Et pour cela, puisque j’ai l’honneur de m’exprimer au centre Saint-Paul, soyons aristotélicien. Nous sommes en pays de connaissance.

La cause économique de 1789 est évidente : c’est la bourgeoisie qui a financé cette révolution, elle n’a pu le faire que parce qu’elle était devenue plus riche que l’aristocratie. Mais cette cause économique, à y regarder de plus près, n’est qu’efficiente. Certes, s’il ne s’était pas trouvé des banquiers pour financer tour à tour l’émeute parisienne et sa reprise en main napoléonienne, nous n’aurions eu ni 14 juillet, ni 18 Brumaire. Mais d’un autre côté, sans l’existence, dans la population, d’une prédisposition à accepter le 14 juillet, puis le 18 Brumaire, ni Mirabeau ni Napoléon ne seraient devenus des personnages historiques.

Alors quelle est la cause formelle de la révolution ?

Il doit se trouver, dans cette salle, de nombreux lecteurs de Pierre Gaxotte. Ils ne seront pas surpris par ce que je vais maintenant dire : la cause formelle de 1789, c’est une mutation de la notion de bien commun. Sous l’Ancien Régime, le bien commun était produit, dans un cadre largement communautaire, par d’innombrables corps intermédiaires – dont beaucoup, on le remarquera, s’opposait au libre déploiement des forces du Marché – Corporations, villes dotées de privilèges, etc. A partir du XVIII° siècle, le bien commun est, progressivement, construit dans une optique essentiellement individualiste : ce sont les individus qui produisent, par la confrontation de leur sens particuliers, un sens commun partagé, et ce sens commun est supposé fondé, par la fiction agissante de la « Volonté générale », le bien commun.

Alors bien sûr, cette mutation du bien commun trouve elle-même, en partie, sa source dans le développement économique. Mais en partie seulement…

La cause matérielle de la mutation, c’est l’évolution des techniques de communication : l’apparition de la presse a complètement modifié l’architecture du système d’information de la société française. Et donc, exactement comme la cause matérielle de la Réforme, au XVI° siècle, résidait sans doute dans l’imprimerie, la cause matérielle de la Révolution Française est à chercher dans l’apparition de la presse.

Cette architecture – cause efficiente, la mutation économique ; cause formelle, la mutation du sens commun ; cause matérielle, la presse – dit assez clairement ce qu’était la cause finale de la révolution : il s’agissait d’adapter le « Cerveau global » construit par la France à ses nouvelles conditions de fonctionnement.

En conclusion sur la Révolution Française, nous pouvons donc dire ceci : la question du positionnement en amont, ou en aval, de la crise économique et la crise du sens, appelle une réponse nuancée. La cause économique est efficiente, mais les causes formelles, matérielles et finales se trouvent, fondamentalement dans le processus de construction du sens par l’esprit public.

LA CHUTE DE L’EMPIRE ESPAGNOL

Passons à une autre crise du passé.

1643 : bataille de Rocroi. C’est le début de la fin pour l’Empire espagnol.

La cause efficiente est évidente : c’est la défaite militaire. Si le duc d’Enghien avait été vaincu à Rocroi, le début de la fin aurait été retardé de quelques décennies pour l’Empire espagnol.

Retardé, mais retardé seulement…

Car, derrière la cause militaire, évidente, il y en a une autre, plus profonde : le déclin économique.

C’est là que réside la cause formelle de l’implosion de l’Empire Espagnol. Paradoxalement, cette construction politique immense, mais fragile, a été ruinée par sa maîtrise presque complète des sources de métaux précieux.

Un paradoxe qui s’explique aisément.

Le sens même de l’économie s’est progressivement inversé dans l’Empire « espagnol ». L’étude des flux financiers montre que l’afflux d’or du Nouveau Monde a ruiné l’Espagne, en rendant les investissements productifs inintéressants pour sa noblesse. Quand vous avez la possibilité de capter une énorme richesse sans rien produire, vous cessez de produire. Au final, ce n’est plus l’Espagne qui possède la richesse de son empire : c’est cette richesse qui possède l’Espagne – « posséder », ici, au sens que peut prendre le terme, s’agissant d’une possession démoniaque.

La cause matérielle de la chute de l’Empire espagnol ? – L’or et l’argent du Nouveau Monde, tout simplement.

Et la cause finale ?

Ce fut l’implosion nécessaire d’un « Cerveau global » construit par l’Espagne, mais désormais inadapté aux nouvelles conditions de fonctionnement induites par ses victoires et conquêtes elles-mêmes.

En somme, dans le cas de l’Empire espagnol, nous avons une crise économique qui produit une crise du sens – à moins que ce ne soit précisément l’abolition du sens, dans les catégories de l’économie, qui ait fabriqué l’implosion économique…

1789 – 2008

Le paradoxe de la situation contemporaine, c’est que nous sommes en présence de la superposition de deux crises, l’une de type « 1789 », l’autre de type « 1643 ». Et chacune de ces deux crises entrecroise, en son sein, dislocation du sens et chaos économique.

Evidente, la dimension « 1789 » de l’actuelle crise économique, du sens, du sens de l’économie.

2008, c’est la prise du pouvoir par une oligarchie bancaire, fer de la lance d’une « hyperclasse mondialisée » en gestation – avec, dans le rôle des petits soldats, non plus la bourgeoisie stricto sensu, mais les couches très supérieures du salariat technocratique.

Dispositif annexe : de nouvelles classes associées à la domination, les médiatiques, en remplacent d’autres, les intellectuels dignes de ce nom, les enseignants, etc. En clef de voûte : une religion, l’idéologie mondialiste, en remplace d’autres – les divers dispositifs idéologiques produits par les intelligentsias nationales. Originalité de cette nouvelle clef de voûte : pour la première fois, l’économie n’a plus d’autre justification qu’elle-même.

L’analogie avec 1789 apparaît clairement – mais ce sera encore plus clair, quand nous aurons analysé les causes du phénomène.

La cause efficiente des évènements, nous l’avons tous vue : c’est le basculement complet des centres de décision économique, qui échappent désormais totalement aux anciens Etats bourgeois. Mais cette dimension économique n’est que la cause efficiente.

Comme à la fin du XVIII° siècle, quand la bourgeoisie prit le pouvoir, derrière la cause économique efficiente, la cause formelle touche à la structure du sens. Certes, sans la FED, pas de coup d’Etat financier en septembre 2008 – mais sans l’énorme machine médiatique qui a « vendu » ce coup d’Etat à des opinions sidérées, sans, surtout, des peuples prêts à gober tout rond leur propre spoliation, l’opération aurait à coup sûr été aussi impossible que sans l’action de la FED.

D’où vient, donc, que les peuples acceptent ? Comment peuvent-ils admettre, finalement avec très peu de résistance, le pillage des biens communs ?

Eh bien, disons-le tout net, s’ils ne se préoccupent plus des biens communs, c’est d’abord parce qu’ils ont perdu jusqu’à la notion de bien commun. L’individualisme passe la vitesse supérieure : après avoir énoncé que le bien commun devait être construit à partir de la confrontation constamment renégociée des biens particuliers, étape franchie à la fin du XVIII° siècle, il débouche aujourd’hui sur l’absurde, et pourtant bien réelle, négation de la notion même de bien commun.

L’éclatement du social est accompli. Nous assistons à la disparition de fait de tout lien social. Ne reste plus qu’une masse de consommateurs abrutis. Comment voudriez-vous qu’une foule désarticulée pense le bien commun ? Relire Gustave Lebon, à ce propos…

Où se trouve la cause matérielle de cette cause formelle ?

Eh bien, exactement comme 1789 trouvait sa cause matérielle dans la presse, 2008 trouve la sienne dans l’émergence d’un système des médias si parfaitement omniprésent qu’il a fini, en quelque sorte, par saturer tout le « temps de cerveau disponible ». Et donc, n’est-ce pas, si tout le temps de cerveau est saturé par les médias, il n’en reste plus pour le social.

Il n’existe presque plus d’intersubjectivité, dans notre société. A partir de là, il ne s’agit plus de construire un sens commun, en vue d’un bien commun, à partir du réel. Il s’agit, pour la grande masse, d’absorber passivement un sens particulier, promu par les médias, imposé par l’hyper-réalité du spectacle médiatique.

Pourquoi les banksters peuvent-ils piller les peuples ? Réponse : parce qu’il n’y a plus de peuples…

Alors la cause finale ? Allons jusqu’au bout du raisonnement, même si cela fait mal : ce que nous avons, derrière le transfert de richesses, et donc de pouvoir, des Etats vers les banques, ou disons vers les oligarchies financières, c’est la réadaptation du « Cerveau global » construit par l’Occident à ses nouvelles conditions de fonctionnement.

En clair : c’est la fin de la démocratie bourgeoise – La démocratie ? Plus besoin, on a les médias. La bourgeoisie ? Dépassée, voici venu le temps d’une surclasse transnationale, qui relègue l’essentiel des anciennes bourgeoisies nationales au rang de dominés.

Conclusion : on a bien une crise économique, puisque le capital spéculatif dévore le capital productif, mais aussi une crise du sens, avec la disparition de la notion de bien commun.

Et c’est, en réalité, la crise du sens qui constitue le fond du problème.

1643 - 2008

Seulement voilà : cette crise-là, le 1789 de la technocratie triomphante, en rencontre une autre…

En 2003, un célèbre débile léger annonça triomphalement sur le pont d’un porte-avion : « nous avons prévalu ». On connaît la suite…

La vérité, bien sûr, c’est que les USA ne prévalent pas. La rage avec laquelle Bush annonça le maintien de leur prédominance ne peut d’ailleurs s’expliquer que par la conscience du fait que celle-ci s’achève.

Les USA sont en recul. Menacés d’implosion. Déficit budgétaire énorme, échecs stratégiques majeurs des neocons, etc.

Pourquoi cette crise-là ? Pourquoi la crise de la dominance occidentale ?

La dimension militaire est bien présente. Les USA ont une énorme suprématie aérienne, mais leur infanterie est archinulle, et leur arsenal stratégique inutilisable dans le type de conflits qu’ils ont à livrer.

Cependant, l’échec militaire n’est que la cause efficiente du recul américain. Si les USA n’avaient pas besoin de faire la guerre, ils n’auraient pas non plus besoin de gagner la guerre. Et, à la vérité, s’ils ont besoin de faire la guerre, c’est parce qu’ils perdent la paix.

Pourquoi perdent-ils la paix ?

La cause formelle du recul américain en particulier, occidental en général, c’est l’implosion de l’économie occidentale dans l’ordre de l’économie productive. Les problèmes financiers qui touchent la sphère occidentale ne sont que la conséquence de cette implosion productive. Et d’où vient cette implosion ? Quelle est sa cause matérielle ?

Eh bien, pour faire simple, du fait que les USA ont trouvé, comme jadis l’Empire espagnol, une source de valeur comptable illimité : le dollar comme monnaie de réserve. Et comme l’Espagne de jadis, ce tonneau des Danaïdes miraculeux s’est tourné en malédiction : pourquoi investir dans l’économie productive, quand il est possible de dégager de la valeur, purement virtuelle bien sûr, mais comptable malgré tout, sans porter le poids de la production ?

Une production, soit dit en passant, qu’on veut d’autant moins continuer à porter qu’on sait bien, au fond, que le système productiviste bute sur ses limites écologiques…

Les délocalisations, l’argent facile de la sphère spéculative, ont ruiné l’économie US productive. Du coup, le sens de l’Empire s’est inversé : ce n’est plus l’Amérique qui a un Empire, c’est un Empire qui possède l’Amérique. Comme l’Espagne du XVII° siècle, l’Amérique meurt, écrasée par le poids de ses conquêtes.

La cause finale ? L’inadaptation du « Cerveau global » construit par les USA aux nouvelles conditions de fonctionnement induites par ses victoires et conquêtes.

CONCLUSION

Nous réalisons donc, au terme de cet exposé, qu’il y a collision entre deux crises : une de type 1789, un changement de classe dominante, et une autre de type 1643, l’implosion d’un Empire.

La situation nous apparaît dans sa complexité.

Chacune des deux crises entremêle, selon son architecture propre, crise économique et crise du sens. Avec en toile de fond, comme une sorte de fil rouge reliant souterrainement les deux crises, l’impossible extension à la planète du mode de vie occidental…

Le monde va osciller à présent entre les deux crises qui peuvent préempter l’histoire. Ou la crise sociale induite par la victoire de l’oligarchie technocratique mondialiste sur les peuples d’Occident, ou la crise géopolitique induite par la défaite latente de cette même oligarchie à l’échelle globale.

Une de ces deux crises va structurer le monde de demain.

Laquelle ?

Bien malin qui pourrait le dire.

Beaucoup de choses, sans doute, vont dépendre des choix faits par les dirigeants du monde occidental. Décideront-ils, avec Brzezinski, que le temps est venu d’organiser un condominium au sein duquel la Russie serait tenue en laisse, et la Chine apprivoisée ? Iront-ils, comme le souhaitent les milieux néoconservateurs, pro-Israël, vers une politique de guerre au Moyen-Orient ? Négocieront-ils leur défaite géostratégique pour préserver leur victoire sociale, ou bien joueront-ils leur va-tout ? Impossible de répondre à cette question. On va bien voir.

Ce qui est certain, en tout état de cause, c’est qu’à l’intersection des crises économique et géostratégique, il y a la question du sens – et plus précisément, du sens du bien commun.

Et donc, ce qui paraît au moins probable, c’est que c’est en refondant le sens que nous pourrons, peut-être, à notre échelle, avec nos moyens, mais surtout avec tous ceux qui partagent nos préoccupations, préempter la crise décisive, lui conférer un sens extérieur à celui produit par les oligarchies prédatrices – et faire en sorte que du choc entre les deux crises, sociale et géostratégique, jaillisse un monde nouveau.

QUATRE QUESTIONS PARMI D’AUTRES

Vous parlez de la Réforme, et dites que sa cause matérielle a été l’imprimerie. Mais d’autres hérésies ont failli triompher, avant l’imprimerie. L’arianisme, par exemple. N’est-ce pas plutôt l’esprit de la Renaissance qui explique la Réforme ?

La Réforme correspond à un certain mouvement au sein d’un esprit de la Renaissance qui n’avait rien d’unitaire. Le moins qu’on puisse dire, c’est que Luther et Erasme n’ont pas été d’accord sur tout !

Il est clair que la Réforme a d’autres causes que l’imprimerie. Pour reprendre la grille de lecture que nous nous sommes amusés à construire, tout à l’heure, disons que la cause formelle en a été l’émergence de l’homme typographique, une étape de plus dans le déploiement de l’individualisme – une étape qui imposait sans doute de nouvelles voies vers Dieu, puisque, si j’ose dire, le point de départ humain avait changé.

Et la cause matérielle qui accompagna cette mutation anthropologique, ce fut bel et bien l’imprimerie, à mon avis.

D’autres révoltes religieuses, à d’autres époques, ont évidemment pu avoir d’autres causes…

Quelles sont ces nouvelles forces qui vont renverser l’ordre ancien au sein même du pouvoir, en France ?

Ma foi, il suffit de regarder autour de soi pour être fixé. Il est clair que la victoire de Nicolas Sarkozy au sein de l’UMP sonne le glas d’une certaine droite bourgeoise disons encore en partie nationale – la bourgeoisie française du temps jadis, si vous voulez.

C’est un agent américain, disons-le tout net, qui s’est mis au service de forces capitalistes totalement transnationales. On pourra sans peine trouver une situation analogue sur l’autre versant du bloc institutionnel, d’ailleurs, si Strauss-Kahn s’impose au PS.

Et puis il y a ce qui se joue au niveau des réseaux d’influence. Tout le monde sait qu’entre le Grand Orient et certaines obédiences régulières liées à la FM anglo-saxonne, le torchon brûle. Ce qu’on sait moins, c’est qu’à l’intérieur du GO, il y a de très fortes tensions entre maçons juifs et non juifs – ou plutôt non, employons les termes corrects, ceux qui décrivent au mieux le réel en tout cas : entre pro-sionistes et « républicains », à l’ancienne. Voilà.

Quel serait selon vous l’équivalent, aujourd’hui, de la figure royale ancienne ? Les révolutionnaires de 1789 ont dû couper la tête au roi pour écraser le symbole de l’ordre ancien. Que feront les nouveaux révolutionnaires ? Quel symbole vont-ils détruire ?

Je ne suis pas sûr que la décapitation de Louis XVI ait été absolument nécessaire, dans le cadre de 1789. Au fond, il y a deux révolutions françaises : 1789, la bourgeoisie prend le pouvoir. 1793 : la bourgeoisie, constatant que l’ordre ancien résiste, en Europe, lâche la bride à une tendance populaire, ou disons présocialiste, qu’elle va utiliser comme troupe de choc irrégulière.

Mais cette instrumentalisation n’a qu’un temps. Regardez le parcours de Robespierre. C’est intéressant, parce que c’est peut-être le seul révolutionnaire à avoir vraiment cru en la Révolution, à avoir vraiment voulu incarner le mythe dont je parlais tout à l’heure.

En 1793, il fait tuer les aristocrates et les curés. Réaction de la Convention : « bien guillotiné, continue tu nous intéresses ! »

Et puis, le 8 Thermidor, ayant fini de balayer curés et aristos, il propose à la Convention de purifier aussi la bourgeoisie, tant qu’on y est. Résultat : le 9 Thermidor, il est mort…

Tout ceci pour dire que quand une nouvelle classe dominante émerge, son objectif n’est pas nécessairement de détruire les symboles de l’ordre ancien. Elle veut s’installer, et si elle peut le faire avec le minimum de troubles, c’est ainsi qu’elle procède.

On peut supposer qu’il en ira de même avec la surclasse transnationale en cours de formation. Dans la mesure du possible, elle suivra la tactique du voleur chinois : déplacer les objets insensiblement, jusqu’à faire oublier leur existence, avant de les dérober.

Mais bon, pour répondre à votre question : si les nouveaux maîtres décident de rendre visible l’abolition de l’ordre ancien, de manière brutale, je suppose qu’ils démantèleront directement tous les systèmes de protection sociale, à la faveur d’une stratégie du choc. C’est triste à dire, mais c’est la vérité : si l’on veut détruire l’Etat-nation jusque dans la perception des foules, ce qu’il faut fermer aujourd’hui, c’est la Sécurité Sociale. Il faut bien dire que c’est, hélas, à peu près la seule chose qui tient encore la France comme Etat-nation, en tout cas dans l’esprit de la majorité du peuple.

Faut-il voir dans notre époque le prélude au règne de l’Antéchrist ? Donc l’annonce du retour prochain du Christ ?

Je ne m’aventurerai pas sur le terrain religieux : il y a des gens dont c’est le métier.

Je constate simplement, comme tout le monde, que nos dirigeants se donnent énormément de mal pour nous convaincre qu’ils sont la préfiguration de l’Antéchrist. Et je constate aussi que, force est de le reconnaître, la qualité de leur prestation laisse craindre que ce ne soit pas entièrement un rôle de composition…

Ce qui me paraît clair, en tout cas, c’est que si nous ne parvenons pas à construire au moins un refuge, il n’y aura pas d’avenir humain. A l’horizon d’une ou deux générations, une fois surmontée la convergence des catastrophes dans laquelle nous entrons aujourd’hui, nous serons confrontés à un pouvoir mondial unifié, doté de leviers technologiques tels qu’il pourra, littéralement, déshumaniser l’humanité.

Pour peser nos responsabilités, et sans préjuger d’une lecture religieuse qui me dépasse, cela doit nous suffire, non ?

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