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Lavage de cerveau et travestissement : le programme d’assassinats d’Israël mis à nu

(Publié le 05/02/2018 dans Haaretz sous le titre Brainwashing and Cross-dressing : Israel’s Assassination Program Laid Bare in Shocking Detail)

Le récit captivant par Ronen Bergman de l’utilisation par Israël d’assassinats ciblés dévoile pour la première fois de nombreuses opérations menées au nom de la sécurité nationale. Certaines peuvent inspirer le lecteur, d’autres sont à vomir.

 

Je n’évoque cet épisode embarrassant que pour présenter le nouveau livre de Bergman, Rise and Kill First : L’histoire secrète des assassinats ciblés d’Israël, un blockbuster dans tous les sens du mot, dont le corps de 630 pages est complété par 70 pages de notes et 10 autres pages très denses énumérant les sources orales et écrites. (Il y a aussi un index très utile.)

Vous penserez peut-être que c’est un maniaque (ou même un obsédé), mais la documentation de Bergman n’a rien de prétentieux ni d’exagéré. Au contraire, elle fournit les sources essentielles de centaines d’épisodes de l’histoire des services de renseignement et de sécurité d’Israël. Elles vont de l’époque pré-étatique, quand des agents sionistes frappaient des responsables britanniques et des « maraudeurs arabes » [terme sioniste désignant les combattants palestiniens, NdE] en Palestine, et des assassins nazis en Europe, jusqu’aux récentes frappes contre les « maîtres de la terreur » du Hamas et du Hezbollah et la série de morts subites d’ingénieurs iraniens du nucléaire, par ailleurs en parfaite santé.

Certaines de ces histoires semblent difficiles à croire – non seulement parce que ces histoires elles-mêmes ont l’air de sortir de romans d’espionnage, mais aussi parce qu’il est difficile de croire que tant d’entre elles soient racontées ici pour la première fois et en un seul et même volume. Mais une lecture attentive des notes de Bergman nous apprend que la plupart des opérations décrites dans le livre – dont beaucoup sont des assassinats – lui ont été révélées lors d’entretiens personnels (avec plus de 1 000 sources, souvent identifiées seulement par des noms de code) ou par des documents qui lui sont tombés entre les mains.

 

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Ronen Bergman

 

Des actes héroïques et d’autres moins

Max Weber a écrit que dans la société moderne, l’État détient le monopole de la violence légitime. Cela suppose que, dans un État démocratique, l’emploi de la force cachée doit être contrôlé par les dirigeants élus de cet État. Si Rise and Kill First a un message, c’est qu’il faut y penser à deux fois (vite de préférence) avant de tuer, et avoir l’approbation des personnes dont le travail consiste à superviser le tableau d’ensemble. (Le titre du livre est tiré du texte midrashique Bamidbar Rabbah [1], qui dit : « Celui qui vient pour te tuer, tue-le avant. »)

Beaucoup des héros du livre de Bergman – le cas de Meir Dagan, « la machine à tuer » chez qui « le mécanisme de la peur est gravement déficient », selon un de ses soldats, et qui est devenu chef du Mossad, vient à l’esprit – étaient capables de commettre des meurtres de sang-froid au service de l’État. Seul le lecteur naïf peut nier qu’Israël a une lourde dette envers eux pour les responsabilités et les risques qu’ils ont pris personnellement.

 

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De gauche à droite Meir Dagan, Yehuda Danguri et Avigdor Ben-Gal, chefs de commandos

[...]

Il y a deux semaines, le New York Times a publié un extrait du livre, dans lequel l’ancien commandant de l’armée de l’air israélienne David Ivri décrit comment, lors d’une tentative d’assassinat contre Yasser Arafat en octobre 1982, Israël a failli abattre un avion transportant son frère, Fathi Arafat. Fathi, un médecin qui ressemblait à son frère mais avec une barbe plus fournie, accompagnait une trentaine d’enfants palestiniens blessés de Beyrouth au Caire pour y être soignés. Plusieurs sources de renseignement avaient par erreur localisé Yasser Arafat dans l’avion, et deux F-15 israéliens ont décollé et se sont préparés à lancer des missiles contre l’avion. Mais, mal à l’aise, Ivri a suspendu l’ordre d’exécution, malgré l’insistance du chef d’état-major des Forces de défense israéliennes, le Lt-général Rafael (« Raful ») Eitan pour qu’il finisse le travail. Seul un rapport du Mossad et des renseignements militaires, indiquant que ce n’était pas le bon Arafat qui était à bord de l’avion, a entraîné l’annulation de la mission, mais il était moins une.

Il s’avère qu’Eitan et son supérieur, le ministre de la Défense Ariel Sharon , étaient obsédés par l’idée de tuer le chef de l’OLP (ils avaient mis sur pied une équipe spéciale dirigée par deux vétérans des services de renseignement, Dagan et Rafi Eitan, avec le nom de code de « Dag Maluah », Rollmops). Bergman cite Aviem Sella, qui était à l’époque le chef des opérations de l’armée de l’air (et qui, quelques années plus tard, fut l’officier traitant de Jonathan Pollard à l’ambassade d’Israël à Washington), décrivant une mission privée pour tuer Arafat, à l’initiative du chef d’état-major au Liban en août 1982. « Vous piloterez l’avion » – un avion de chasse Phantom – « et je serai le navigateur et le mitrailleur-bombardier », a déclaré Rafael Eitan, cité par Sella. « Nous allons bombarder Beyrouth. »

Les deux hommes ont effectué deux bombardements ce jour-là, mais Arafat n’était pas présent dans le bâtiment visé lors de la frappe. Sella dit ensuite à Bergman que le chef d’état-major, interviewé cette nuit-là dans les environ de Beyrouth par un journaliste de télévision, « avait déclaré qu’Israël s’abstenait de bombarder des bâtiments dans un zone où vivaient des civils – ce qui était exactement ce qu’ils avaient fait ce matin-là ».

Faisant preuve d’une intuition qui semblait toujours l’avertir de ce genre de menaces, Arafat échappait régulièrement aux griffes d’Israël, parfois seulement quelques secondes avant un attentat. Ce n’est qu’en 2004 que la mort l’a finalement rattrapé, lorsqu’il est mort d’une mystérieuse maladie dans un hôpital parisien. Plusieurs autopsies dans les jours et les années suivantes n’ont pas pu déterminer la cause du décès. Bergman nous dit que même s’il savait ce qui a causé la mort d’Arafat, « je ne pourrais pas l’écrire dans ce livre, ni même écrire que je connais la réponse ». Ordres du censeur militaire.

Néanmoins, ceux qui savent lire entre les lignes peuvent légitimement déduire que Bergman est convaincu qu’Israël a été d’une manière ou une autre l’instigateur de la « mystérieuse maladie intestinale » qui a finalement abattu le dirigeant palestinien.

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En 1968, un psychologue de la Marine nommé Benjamin Shalit, a eu l’idée de « laver le cerveau d’un prisonnier palestinien et de l’hypnotiser pour en faire un tueur programmé ». Il serait alors envoyé en Jordanie en tant qu’agent dormant et, quand l’occasion se présenterait, assassinerait… Yasser Arafat, évidemment !

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Ehud Barak, à droite, et Amnon Lipkin-Shahak, alors membres des commandos, au milieu des années 1970

Bergman lui-même va plus loin à la fin du livre en affirmant que le Mossad, l’AMAN et le service de sécurité du Shin Bet « ont toujours fini par fournir aux dirigeants israéliens des réponses opérationnelles à tous les problèmes ciblés qu’on leur a demandé de résoudre. Mais les succès mêmes de la communauté du renseignement ont favorisé l’illusion chez la plupart des dirigeants du pays que les opérations secrètes pouvaient être un instrument de stratégie et non seulement de tactique – qu’elles pourraient se substituer à une vraie diplomatie dans la résolution des conflits d’ordre géographique, ethnique et national dans lesquels Israël est enlisé. »

Lire l’article entier sur arretsurinfo.ch

Notes

[1] Midrash (mot hébreu formé sur le radical d-r-sh, interrogger, exiger, interpréter) : une méthode herméneutique d’exégèse biblique opérant principalement par comparaison entre différents passages bibliques ; ainsi que, par métonymie : la littérature recueillant ces commentaires.

Approfondir le sujet avec Kontre Kulture :

À propos du Mossad, sur E&R :

 






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