Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

Le Journal de la Deuxième Grande Dépression 2

Avec l’aide des camarades de la section Economie naît une chronique bimensuelle sur la deuxième Grande Dépression, découpée en cinq épisodes quotidiens.

Pas de blabla : les faits, et une proposition d’interprétation. Cette quinzaine : zoom sur la politique de Barack Obama – aspects monétaires et financiers. Mais d’abord, un point de méthode : existe-t-il une politique de Barack Obama ?. E&R

2.1

QUI COMMANDE A WASHINGTON ?

Aux Etats-Unis, personne ne sait qui dirige en réalité. En théorie, l’Amérique est une démocratie présidentielle, mais en pratique, il en va très différemment. Depuis l’assassinat de John F. Kennedy, le pouvoir d’un président des USA semble quelque chose de très fragile, par rapport aux poids conjoints de la bureaucratie, du big business et des lobbys. Et d’ailleurs, déjà avant l’assassinat de Kennedy, pour des raisons à la fois constitutionnelles et pratiques, aucun président n’avait pu appliquer en totalité la politique qu’il envisageait – et cela valut même pour Franklin Roosevelt pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Le premier adversaire d’un président des USA est sa propre administration. Le « système des dépouilles » veut qu’après un changement d’administration, on « récompense » les « fidélités », de sorte que l’attribution des postes de responsabilité tient beaucoup plus du dosage entre réseaux d’influence que de la promotion des talents. Et donc, traditionnellement, les postes relatifs à l’économie sont partagés entre des représentants du big business et quelques universitaires eux-mêmes plus ou moins ouvertement sponsorisés par les grandes entreprises.

Barack Obama ne fait pas exception à la règle. Il a reçu du big business le soutien le plus massif jamais reçu par un candidat démocrate, un soutien qui s’est chiffré en centaines de millions de dollars. On ne s’étonnera donc pas de le voir nommer à des postes de premier plan des hommes comme Timothy Geithner (secrétaire au Trésor) et Lawrence Summers (senior White House economic adviser), deux protégés de Robert Rubin – Robert Rubin, un « fil rouge » à suivre, pour comprendre d’où vient l’équipe qui entourera Barack Obama dans les mois qui viennent…

Robert Rubin fut successivement secrétaire au Trésor de Bill Clinton entre 1995 et 1999, puis, jusqu’à très récemment conseiller spécial au sein de la banque Citigroup anciennement Salamon Brothers – un poste qu’il a dû abandonner en catastrophe, sa responsabilité étant directement engagée dans les très mauvais résultats de la banque d’affaires. Pendant la période où il fut secrétaire au Trésor, Rubin s’était fait connaître surtout en travaillant à, et pour finir en obtenant l’abrogation de la loi Glass-Steagal. De quoi s’agit-il ? Tout simplement de la mesure qui a rendu possible l’investissement massif des banques commerciales dans les hedge funds (les fonds spéculatifs à fort risque/rendement), lesquels ont en retour alimenté la pompe à finance des subprimes. Rubin a donc, comme secrétaire au Trésor, ouvert la porte à la période d’explosion hyper-spéculative dont il a ensuite bénéficié comme tous ses collègues de Salomon Brothers – un parcours qui dit bien d’où parle ce monsieur Rubin, quels intérêts il sert et selon quelles méthodes.

C’est à l’aune de cette réalité des lobbys, des réseaux d’influence et du « système des dépouilles » qu’il faudra analyser le discours et les recommandations des conseillers très « rubiniens » de Barack Obama. A l’époque où il officiait au côté de Bill Clinton, Rubin s’était fait connaître parce que l’on appelait la « rubinomique » : un triptyque libéral classique associant budget équilibré, libre échange et dérégulation financière. Aujourd’hui, le discours des « rubiniens » est en apparence très différent de la « rubinomique » des années 90. Au tryptique équilibre budgétaire – libre échange – dérégulation semble devoir se substituer, si l’on se fie aux déclarations d’hommes comme Timothy Geithner, un triptyque presque parfaitement inversé : déficit budgétaire pour relance à tout va, libre échange tempéré par un protectionnisme non dit, « re-régulation » du capitalisme financiarisé. Mais en réalité, on peut se demander si l’opposition n’est pas purement de façade : la nouvelle « rubinomique » n’inverse-t-elle l’ancienne que parce que le contexte a changé ? Fondamentalement, les objectifs des deux démarches ne sont-ils tout à fait identiques : défendre, encore et toujours, les intérêts cachés derrière la FED ? – Voilà, certainement, la question qui structurera la présidence Obama.

En passant de Rubin à son élève Geithner, les USA basculent en apparence du culte de l’équilibre budgétaire à un néo-keynésianisme revendiqué. Mais est-ce surprenant ? Il se trouve qu’aujourd’hui, les intérêts des grandes institutions bancaires ne sont plus préservés par l’équilibre budgétaire, mais par le déficit – puisque le déficit permettra de couvrir les gigantesques masses d’actifs toxiques qui se sont accumulées dans les bilans des banques pendant la période hyper-spéculative. C’est pourquoi le « néo-keynésianisme » d’un Geithner n’est peut-être pas très keynésien. On ne sait pas encore s’il s’agira d’opérer une véritable relance keynésienne, visant à donner plus de moyens aux acteurs de l’économie réelle – ou tout simplement de combler les pertes du capitalisme financiarisé. En ce sens, les antikeynésiens qui critiquent la future politique « néo-keynésienne » de l’équipe Obama lui font peut-être un cadeau : on peut croire ou pas aux solutions keynésiennes, mais de toute manière, s’agissant de ce que Geithner semble devoir accomplir, ce ne sera pas forcément la question. Le néo-keynésianisme sera, si l’on en croit les détracteurs de Timothy Geithner, un faux keynésianisme. Si c’est le cas, alors le sénateur Ron Paul a raison : ce que les hommes d’Obama préparent pourrait faire regretter le New Deal même aux adversaires de F.D. Roosevelt !

Pour les mêmes raisons, la très faible lisibilité des orientations de l’équipe Obama s’agissant du commerce international s’explique potentiellement par le fait qu’à ce stade, les principaux acteurs du big business n’arrivent pas à déterminer où sont leurs intérêts exacts. A l’égard de la Chine et du Japon, les USA sont entrés dans une relation d’une perversité extraordinaire, qu’on pourrait décrire comme un vampirisme mutuel. La FED est fragilisée par la vampirisation du dollar par l’accumulation des réserves de change chinoises, mais elle défend par ailleurs les intérêts de multinationales américaines dont les profits dépendent en très grande partie de la production asiatique. Ce serait une explication possible au flou assez extraordinaire qui entoure les orientations d’Obama en matière de commerce international. En fait, sachant parfaitement qu’ils ne peuvent que très difficilement se passer de la mondialisation des échanges, laquelle est tout à fait conforme à leurs objectifs stratégiques, et en même temps redoutant d’en perdre le contrôle stratégique, les conseillers d’Obama ont semble-t-il suspendu leur décision.

Reste le volet le plus sensible de la nouvelle « rubinomique » d’un Timothy Geithner : la « re-régulation ». Au-delà des mesures spectaculaires et démagogiques comme la limitation des salaires (officiels) des dirigeants des institutions qui bénéficieront des plans de relance, il s’agit de savoir s’il faut comprendre par là retour à la régulation antérieure, ou régulation de l’état des choses créé par la dérégulation néolibérale. Dans le premier cas, on assisterait au retour d’un certain nombre d’activités privatisées dans le giron de l’Etat. Dans le second cas, il faut s’attendre au maintien dans la sphère privée des activités actuellement confiées au privé, mais avec, en surplomb de la privatisation, l’apparition progressives de dispositifs de contrôle et de coordination organisés par l’Etat pour le compte des grandes banques et des grandes entreprises. Sous cet angle, pour l’instant, nous avons très peu d’information sur ce que sera, concrètement, la « re-régulation » des conseillers d’Obama – mais rien ne nous laisse anticiper un véritable retour de l’Etat.

En amont même de ces questions sur la nature exacte de la « nouvelle rubinomique », il en existe une autre : cette « nouvelle rubinomique » est-elle prédéfinie ? Que Barack Obama ne soit, en fin de compte, qu’un acteur parmi d’autres, et pas forcément le plus puissant, au sein d’une administration américaine qui reste, sur le plan économique, chasse gardée des grandes banques d’affaires, c’est je crois une évidence, au vu du staff qui lui a été imposé. Mais ce staff lui-même est-il maître de la politique qu’il va déployer ? Le flou de la « nouvelle rubinomique » ne fait peut-être que traduire l’incertitude des acteurs sur les rapports de force qu’ils vont devoir gérer, et qui décideront peut-être au jour le jour de la nature exacte de cette « nouvelle rubinomique ». Si cette interprétation est juste, alors il faut se représenter Barack Obama comme un fusible et un médiateur tout à la fois, entre d’une part les lobbys du big business, qui lui ont imposé une administration rubino-compatible, et d’autre part une société civile, un Sénat, une Chambre des Représentants et une opinion publique au sens large, qui vont sans doute peser très fréquemment dans un sens opposé à celui voulu par les « rubiniens ». Si cette interprétation est juste, alors Barack Obama et son administration sont dans la situation d’un surfer à Hawaï, chevauchant un tsunami, et qui donne l’illusion de conduire une vague sur laquelle, en réalité, il n’a aucune prise.

2.2

POLITIQUE MONETAIRE

Comme cela a été expliqué dans un JDGD précédent, depuis septembre 2008, le dollar est en apesanteur. Obama n’en a presque pas parlé pendant sa campagne électorale (une campagne au cours de laquelle les vraies questions n’ont quasiment pas été abordées par les deux grands candidats).

Il eut fallu en parler, pourtant…

Pour l’instant, le dollar est la monnaie d’un pays techniquement en faillite, dont la position extérieure nette doit être déficitaire à hauteur de 10 % du produit brut mondial (estimation), une monnaie qui ne vaut que parce qu’elle sert de sous-jacent à d’autres monnaies appuyées, elles, sur une position extérieure nette positive (Yen, Yuan). En d’autres termes, le dollar est le support d’un système monétariste aux termes duquel il ne vaut plus rien. C’est un pilier qui tient par le toit qu’il est supposé soutenir. C’est une monnaie dont la valeur a cessé d’être modélisable, parce qu’elle a cessé d’être conceptualisable.

En réalité, le dollar ne vaut plus que parce que les grands acteurs économiques, à travers le monde, ont temporairement décidé de le réputer valoir un certain prix. Quant aux motivations de cette décision, elles sont inconnues – tout comme le sous-jacent de cette monnaie paradoxale reste mystérieux. On peut citer, liste non exhaustive : le fait que les USA restent la première puissance militaire du monde (dollar as good as bombs), le fait que leur économie pèse un tel poids que sa chute pourrait faire imploser la planète (dollar as good as fear), le fait que leur niveau technologique leur permette encore d’espérer rebondir grâce à de futurs bonds technologiques (dollar as good as dreams).

Comme cette monnaie non conceptualisable n’est pas modélisable, je n’essaierai pas d’en modéliser les facteurs d’évolution. Pour l’instant, ce qu’on peut constater, c’est que dans les jours qui ont suivi l’investiture d’Obama, le dollar est resté stable face à l’euro, au yuan et au yen. Et pour autant que nous le sachions, la FED n’a en rien modifié sa politique de taux zéro depuis l’arrivée au pouvoir d’Obama.

Cette politique de taux zéro s’explique par le besoin où se trouvent les autorités monétaires de proposer des liquidités pour tenter d’enrayer un cycle déflationniste potentiel. Aux Etats-Unis, depuis un trimestre, tout implose. Les ventes de détail, les prix de détail : implosion. Les ventes immobilières, les prix de l’immobilier : idem. L’automobile : idem. Un à un, tous les secteurs sont rattrapés par la mécanique manque de crédit facile / manque de liquidité / contraction des dépenses / crise de la demande / baisse des prix / réduction des revenus des vendeurs / accroissement des besoins en crédit / crise de solvabilité / manque de crédit facile / etc.

Devant cette catastrophe, la FED a choisi de proposer un argent gratuit, en espérant que cela ferait repartir l’investissement et limiterait les effets de la crise de liquidité induite par la crise de solvabilité :

- d’une part parce que la baisse de rendement des placements réputés à risque zéro pousserait les fonds d’investissement à revoir à la baisse leurs exigences de rentabilité sur les entreprises industrielles et commerciales,
- d’autre part parce que l’on espérait qu’un refinancement facile ferait baisser les taux proposés par les banques, donc le coût de l’argent pour les entreprises.

Ce raisonnement a de fortes chances d’être pris en défaut, pour trois raisons :

1 - Il est totalement inutile de proposer des prêts gratuits à des gens qui sont déjà complètement surendettés (sauf à les induire dans une spirale mortifère). Une crise de solvabilité ne se traite qu’à la marge par l’abaissement des taux. Il faut aller vers le rééchelonnement, voire l’annulation des dettes. La politique du 0 % risque au contraire de renforcer la dette, de la rendre encore plus déconnectée du sous-jacent économique réel.

2 - Les entreprises n’investissent pas parce que l’argent est bon marché ou parce que leurs actionnaires sont peu regardants, mais parce qu’il existe un marché solvable, un horizon de prévision stable et un contexte permettant de construire un outil de production et de distribution performant (et le taux directeur de la FED ne changera que peu de choses à ces fondamentaux, tant que la crise de solvabilité ne sera pas résolue).

3 - Enfin étant donné la perte de confiance générale, on ne retrouve pas dans les taux consentis par les banques aux entreprises les baisses effectuées par la FED au niveau de ses propres taux. Abaisser le taux d’intérêt à zéro est sans effet sur la confiance.

En somme, la gestion de la crise par la FED, jusqu’ici, est caractéristique d’une vision prédéterminée de l’instrument monétaire comme levier suffisant de la régulation économique. On retrouve là un syndrome auquel il convient de prêter attention, car il pourrait bien expliquer une partie des difficultés futures de la présidence Obama : les gens qui dirigent l’économie américaine sont soit des banquiers, soit des théoriciens universitaires. Peu d’entre eux ont effectivement travaillé dans des entreprises industrielles et commerciales à un niveau où l’on touche les réalités matérielles de l’activité. Ils ont donc tendance à penser que c’est la banque qui conduit l’économie réelle, et n’ont pas forcément clairement conscience du fait que celle-ci constitue une sphère autonome, porteuse de ses dynamiques propres. C’est pourquoi la politique des autorités monétaires, pour l’instant, porte sur le levier des taux, sans que soit jamais envisagée une intervention directe et ciblée sur les relations entre banques et entreprises, en particulier sous l’angle de l’accompagnement des acteurs fragilisés.

Or, le levier des taux ne permet plus à la FED d’agir sur l’économie américaine en implosion. Visiblement, les gens qui ont en charge le pilotage du système bancaire US n’ont pas pris la mesure de ce qui se passe sous leurs yeux.

C’est peut-être parce qu’ils ont conscience de ce décalage entre les leviers que la FED active et le problème qu’ils ont à résoudre que les conseillers d’Obama l’ont d’ores et déjà entraîné sur un terrain glissant : la confrontation avec la Chine. « La Chine manipulerait sa devise, » a déclaré récemment le dirigeant américain (l’hôpital qui se f… de la charité). Pourquoi cette provocation, alors que le Yuan reste stable face au dollar ? Probablement parce que les conseillers de Barack Obama sont sans illusion sur l’efficacité de la politique monétaire de la FED. Ils savent très bien que la seule solution, vu la logique où ils sont enfermés, sera, tôt ou tard, l’inflation pour effacer les actifs toxiques entassés dans les comptes des banques – et donc ils savent que la politique des taux zéro n’est qu’un pis aller dans l’immédiat. Ils s’attendent à devoir gérer à terme une baisse très sensible du dollar, seul moyen de résorber la dette US, et redoutent que la Chine, qui a ses propres problèmes (pas de marché intérieur organisé, dépendance à l’égard du marché d’exportation US/UE) ne riposte par une politique de dévaluation compétitive. Pour l’instant, sur le plan monétaire, on en est là : une FED qui a déjà dépensé toutes ses munitions classiques dans la gestion des taux directeurs, et qui ne parvient pas à empêcher l’implosion déflationniste de l’économie US. Et une administration Obama qui n’a aucun programme connu sur le plan monétaire, qui est réputée multilatéraliste, et qui cependant s’est positionnée, d’entrée de jeu, dans une attitude d’intimidation face à la Chine. Le plus probable est que les décisions stratégiques ne sont pas encore prises sur le plan monétaire, et que l’administration US attend de connaître le contexte créé par ses actions sur les plans financiers et économiques avant de solliciter de la FED une autre politique monétaire, encore moins conventionnelle.

2.3.1

POLITIQUE FINANCIERE

Si l’on s’intéresse maintenant à la question financière stricto sensu, rappelons tout d’abord les termes d’une équation très simple : le sous-jacent d’un certain niveau de dette est forcément la croissance économique qui permettra de régler les intérêts. Sinon, la dette ne peut être réglée que par la spoliation des uns pour rembourser les autres.

Plus précisément, dans le cas des USA :

- La dette totale des acteurs non financiers avoisinerait désormais, aux USA, 45.000 milliards de dollars (environ 20.000 milliards de dollars de dette des ménages, 11.000 à 12.000 milliards de dollars de dette publique, 13.000 milliards de dollars environ de dette des entreprises non financières).

- Si l’on admet que les prêteurs attendent au minimum une rémunération nette de l’inflation de l’ordre de 2 % à 2,5 % en moyenne, les intérêts hors inflation sur cette dette des acteurs non financiers doivent avoisiner 1.000 milliards de dollars par an.

- L’économie américaine dégage actuellement un PIB théorique de l’ordre de 14.000 milliards de dollars. Ce PIB inclut probablement 10 % environ d’activité fictive, qui ne correspond en fait qu’au recyclage des surplus de la bulle dollar (coût de gestion des assurances, par exemple, qui entre dans le calcul du PIB), mais passons. Cette économie ne crée qu’une croissance réelle de l’ordre de 3 % (en comptant large – les statistiques américaines surévaluent la croissance depuis des années). 3 % de 14.000 milliards font 420 milliards.

- Donc l’économie américaine, au niveau de ses acteurs non financiers, grandit chaque année de 420 milliards de dollars constants, alors que la somme des intérêts à dégager est environ 2,5 fois plus importante (1.000 milliards). Il est évident qu’il y a un problème. Le niveau de la dette correspond à une anticipation de croissance qui n’est pas vérifiée, et ne le sera pas davantage demain (sauf à imaginer une fulgurante et très improbable reprise économique).

- Donc, si l’on admet que la croissance de l’économie américaine est 2,5 fois plus faible que l’anticipation de croissance implicitement sous-jacente au niveau d’endettement des acteurs, il faut admettre que sur les 45.000 milliards de dettes des acteurs non financiers, une forte proportion ne sera jamais remboursée, en tout cas pas au taux d’intérêt attendu par les prêteurs (d’où, pour l’instant, le taux zéro pourcent).

Combien exactement ne sera pas remboursé, on ne sait pas, parce qu’il peut y avoir plus de croissance, et puis le patrimoine peut servir à couvrir la dette que la croissance ne remboursera pas (ce qui suppose que les emprunteurs ont un patrimoine). Mais il y a certainement des milliers, potentiellement des dizaines de milliers de milliards de dolllars de dettes qui ne seront jamais remboursés.

Complexité additionnelle et potentiellement mortelle, sur cette dette réelle des acteurs non financiers s’est greffée l’énorme pyramide des produits dérivés en tous genres. On parle là de centaines de milliers de milliards de dollars de dettes artificielles, contractées pour l’essentiel par des acteurs qui comptaient sur le non exercice des options pour n’avoir jamais à rembourser. Et qui peuvent donc, à tout moment, se trouver piégés par l’exercice effectif d’options de couverture rendues utiles par le retournement des marchés.

Dans ces conditions, plus personne, en fait, ne sait à combien se montent les actifs toxiques contenus dans les comptes des banques américaines. Si l’on se limite à la dette des acteurs non financiers et au court terme, on peut estimer que la « facture » des subprimes sera complétée, dans les deux années qui viennent, par la facture des crédits Alt-A (sans doute 1.000 à 2.000 milliards, selon le contexte économique), à quoi s’ajouteront les défaillances d’entreprises croissantes liées souvent à des LBO (rachats à crédit qui font porter le coût du crédit à l’entreprise rachetée – peut-être 500 milliards). Si l’on ajoute encore les actifs toxiques liés à des crédits consentis à des acteurs qui vont tomber victimes de la récession, il y a peut-être 2.000 à 3.000 milliards d’actifs toxiques dans les bilans des banques à constater dans les deux ans qui viennent, et compte non tenu de l’effet démultiplicateur des produits dérivés.

Si l’on s’intéresse maintenant au total des actifs toxiques dont la toxicité apparaîtra à moyen et long terme, il est impossible de fournir un chiffre – mais l’unité de compte est certainement, en cas de mauvaise gestion de la crise, la dizaine de milliers de milliards de dollars.

- D’abord parce qu’on ne voit pas comment une économie qui croît de 400 milliards de dollars constants par an pourrait « payer » durablement une dette de 45.000 milliards de dollars, d’autant plus que la récession transforme les bons crédits en mauvais crédits. Beaucoup d’acteurs non financiers ne pourront pas rembourser, sauf en monnaie de singe, c’est une certitude.

- Ensuite parce que l’effet démultiplicateur des produits dérivés peut à tout moment provoquer l’explosion complète du système.

Pour l’instant, comment l’équipe Obama propose-t-elle de traiter cette situation de faillite nationale ?

Commençons par dire que son programme de campagne ne correspondait à rien de sérieux. Il est même assez surprenant qu’un tel programme ait pu servir de base à une campagne électorale dans le contexte créé par la deuxième grande dépression. Il prévoyait 75 milliards de dollars de baisse d’impôts (rappelons que le déficit public US vient de dépasser les 1.000 milliards de dollars), un fonds de 10 milliards de dollars pour aider les propriétaires menacés d’éviction (montant des défaillances à couvrir : au moins 800 milliards, selon la FED elle-même), et une revalorisation du salaire minimum (mesure très saine : une des causes du désastre américain, c’est la monstrueuse dérive inégalitaire induite par le néolibéralisme). Toutes mesures finalement assez bien vues, mais dont l’ordre de grandeur paraissait décalé par rapport au problème à traiter (un problème en milliers de milliards, des solutions en milliards…).

Bref, un programme en forme de vitrine, pour allécher l’électeur. Rien de plus.

Ce n’est qu’une fois au pouvoir que l’équipe Obama a commencé à présenter son véritable plan de relance – dit plan Geithner, du nom de son concepteur principal.

L’esprit de ce plan, dont le montant total approcherait potentiellement 2.000 milliards de dollars, consiste à traiter fondamentalement le problème de court terme – éviter l’implosion du système sous l’effet des 2.000 à 3.000 milliards de dollars d’actifs toxiques menaçant à brève échéance, et donc éviter que la crise du crédit ne s’enroule avec la récession pour fabriquer une spirale mortifère. Et, à plus long terme, quoi ?

Eh bien, pour l’instant, à long terme rien. Le problème de fond, c’est-à-dire ces dizaines de milliers de milliards de dettes sans contrepartie réelle, n’est pas traité par le plan Geithner. L’idée, visiblement, c’est qu’on va éviter de couler à court terme – et qu’on verra plus tard pour le long terme, et que la relance permettra de trouver des relais de croissance, et que surtout… à l’impossible, nul n’est tenu.

En fait, ce qui se passe est très logique. Le pouvoir Obama ne peut évidemment pas remettre en cause le turbocapitalisme financiarisé, puisqu’il est patronné par Citigroup. Mais il ne peut pas non plus le remettre sur pied de façon structurelle, puisque ce système est, semble-t-il, condamné à longue échéance. Alors l’équipe Obama met le moribond sous respiration artificielle pour éviter un décès prématuré, et puis il multiplie les soins palliatifs qui épargneront au patient une agonie trop douloureuse. A ce stade, la gestion Obama, c’est la gestion pragmatique d’une équipe qui n’a pas été mise en place pour repenser le système, mais pour essayer de le sauver – et qui se rend compte qu’elle ne pourra que le faire durer encore un peu.

2.3.2

POLITIQUE FINANCIERE

Le plan de sauvetage de la nouvelle administration Obama attaque la crise financière sur tous les fronts, mais uniquement dans l’ordre de grandeur du court terme, et sans remettre en cause en profondeur les structures du système. Il a été négocié dans des conditions assez malsaines, avec un début de fronde parlementaire contre Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants. Certains parlementaires n’ont pas apprécié de devoir statuer sur des montants gigantesques sans disposer des informations ad hoc, ou sans avoir le temps d’étudier sérieusement des informations qui ne leur étaient pas présentées de manière claire (http://www.youtube.com/watch?v=yxCx...). Même s’il est assez risqué de formuler un diagnostic sur ce qui se passe à l’intérieur de l’oligarchie américaine, tout se passe en tout cas comme si l’administration Obama avait dû ruser pour dissimuler l’ampleur réelle de ses mesures de soutien aux acteurs financiers, qui portent potentiellement sur 1.000 milliards de dollars. Ces 1.000 milliards comprennent 500 milliards de financement privé (couverture mutuelle des banques), mais qui risquent fort de retomber de facto à la charge de l’Etat. S’y ajoutent 500 milliards de financement public, dont seulement 350 milliards couverts par le reliquant du plan Paulson de 850 milliards au total (quand on aime on ne compte pas).

En contrepartie de cette manne distribuée à une finance désincarnée dont on peut penser qu’elle constitue désormais un trou sans fond, le plan Geithner prévoit un soutien massif à l’activité, avec 300 milliards de dollars d’allègements fiscaux (soutien à la consommation) et au moins 400 milliards en dépenses d’infrastructure (après des années de néolibéralisme, l’Amérique possède un réseau routier et ferroviaire en très piteux état).

Ce soutien inclura aussi 50 milliards de dollars d’aide aux particuliers ne pouvant plus rembourser leurs dettes. On hésite sur l’interprétation à donner à cette mesure. Par rapport aux besoins réels (sans doute des milliers de milliards), c’est une goutte d’eau. Mais il faut reconnaître que c’est une nouveauté. En transitant des bushistes à l’équipe Obama, les Américains sont donc passés d’un pouvoir qui donnait 850 milliards aux banques et rien aux pauvres, à un pouvoir qui déguise le fait qu’il va donner 500 milliards aux banques (au moins), promet de financer une relance des infrastructures avec un argent qu’il n’a pas, et accorde par ailleurs 50 milliards aux pauvres. C’est ce qu’on appelle, outre-Atlantique, l’alternance politique (pour les lecteurs qui hésitent : c’est de l’humour).

De toute façon, la vraie question est : les USA peuvent-ils financer le plan Geithner ?

Ce n’est pas un hasard si Wall Street a perdu plus de 3 % pendant la demi-heure qu’a duré la présentation de ce plan par son concepteur. Les banksters espéraient qu’on allait leur annoncer les mesures inflationnistes qui seules, de leur point de vue et au prix de 5 ans de stagflation à 15 % au moins, permettraient de sortir de la crise financière. Or, Geithner n’a pas dit comment il financerait sa relance, et en outre il n’a pas débloqué le montant que les banksters espéraient – car évidemment, avec « seulement » 500 milliards de dollars de soutien public, les banques américaines estiment, pour les raisons vues précédemment, qu’elles ne seront pas en mesure de faire face aux 2.000 / 3.000 milliards d’actifs toxiques à court terme qui polluent leurs bilans.

Donc en synthèse ? Eh bien en synthèse, l’équipe Obama, sur le plan financier, donne la très nette impression de s’être retrouvée coincée entre une haute banque qui voulait « imprimer » 3.000 milliards de dollars, donc un gonflement non négligeable de la masse monétaire et le lancement d’une mécanique inflationniste permettant l’effacement de la dette, et des contre-forces qui ont refusé cette « impression ». Contre-forces qui sont, probablement, de deux sortes :

- D’abord, et cela nous en sommes certains, les parlementaires, ont répercuté la colère qui monte dans la nation américaine, et qui, en cas d’aggravation brutale de la crise, peut avoir des conséquences politiques inattendues.

- Ensuite, sans que nous en ayons la preuve, les créanciers de l’Amérique, et en particulier la Chine et le Japon, ont dû faire savoir qu’ils ne conserveraient pas leur stock de bons du Trésor si les USA programmaient l’implosion du dollar.

Et donc en somme, pour l’instant, la politique financière Obama combine attentisme sur les solutions de fond avec couverture des urgences en catastrophe. Ce n’est pas la politique d’une administration de New Deal, arrivant à la Maison Blanche comme celle de Roosevelt, en janvier 1933, avec un plan d’action précis à appliquer, et des mesures à effet immédiat – on peut croire ou pas à l’efficacité du New Deal, mais le fait est qu’il fut appliqué, et qu’il constituait une vraie politique à grande échelle. La politique Obama est très éloignée de cette « grande politique ». Elle est caractéristique d’une administration de transition conservatrice, déguisée en simili-administration de combat, et qui gère à vue, sans bien savoir où elle veut aller, ni même où elle peut aller.

Comparer la politique de cette administration au New Deal de Roosevelt, à ce stade, c’est une boutade. Pour l’instant, l’équipe Obama ne s’en sort pas trop mal parce qu’à ce stade, la récession n’est dans ses effets visibles pas pire qu’en 1982. Mais si, comme on peut le penser, la spirale dépressionnaire entraîne les USA dans l’abîme d’ici quelques mois, avec à la clef des faillites géantes comme on n’en avait historiquement jamais vu, il faudra, à ce moment-là, passer la surmultipliée.

Il n’est pas certain que l’équipe du beau gosse métis en soit capable.

Michel Drac pour E&R