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Des vraies et fausses révolutions

Par Pierre Dortiguier

Une révolution a deux raisons de ne pas se produire : quand elle est empêchée de se faire par des réformes appropriées, tout comme ce fut le cas en Allemagne, avec deux monarques, Joseph II, beau-frère de Louis XVI, et le Roi de Prusse ou Frédéric le Grand. Ces deux réformateurs ont empêché l’explosion de 1789 de se produire et de démolir leur société, comme la nôtre le fut. La seconde raison, qui rejoint la première, est que cette révolution s’est déjà produite.

L’abus de termes, ou la manière de remplacer les choses par des mots, forme la vanité ou l’escroquerie de notre modernité, ou plutôt celle-ci est l’exaspération de cette tendance qui est appelée nominalisme, par opposition au réalisme. La condition de son apparition est la scission entre la réalité et la connaissance, ce que les psychiatres entendent par schizophrénie, depuis la découverte de ce terme en 1911 par le psychiatrie allemand (suisse) Bleuler ; la vie sociale, ou mieux l’incapacité d’une pareille existence fortifiée par la distinction grandissante entre riches et pauvres, l’amoindrissement de la classe moyenne, le mépris de ce qui est manuel, la manière de la jeunesse de s’enfermer dans un cercle étroit occupé de peu et exclusivement de son propre avenir indépendamment de toute vision du monde, bref l’ignorance extrême de la vie est le caractère de ce temps. C’est l’âge de l’autisme, signe de cette schizophrénie.

L’on trouve pourtant dans les penseurs qui forment les colonnes de ce « faisceau de faits et d’idées », de cet état que l’on nomme, selon la formule bien ajustée de Gobineau, la civilisation, une mise en garde contre l’excès de la jeunesse autant que de la vieillesse dans l’art de gouverner ou de se conduire, qui peut entraver toute civilisation durable. « La civilisation n’est pas un fait, c’est une série, un enchaînement de faits plus ou moins logiquement unis les uns aux autres, et engendrés par un concours d’idées souvent assez multiples ; idées et faits se fécondant sans cesse ». [1]

Depuis déjà deux générations, « la jeunesse », à savoir une partie de la population, est isolée par les manipulateurs de l’opinion publique et de la consommation. Les « jeunes » sont devenus une catégorie dans les années soixante, et les pays de grande jeunesse présentés par ailleurs comme instables pour cette raison, deviennent en effet la proie des fabricants d’opinion, du fait aussi que la qualité de l’enseignement a généralement baissé, entendons par-là l’idéalisme ou la fidélité des maîtres à un Etat, à un système politique, telle qu’aura été la République maçonnique chez nous, ou son antithèse chrétienne sous toutes ses formes, ou ailleurs le modèle philosophique de l’entité prussienne etc, bien tombé en désuétude, mais que la lecture des philosophes classiques de l’idéalisme allemand réveille à coup sûr.

Comment ne pas les lire sans évoquer la vitalité de cet « organisme » dont parle Kant à propos de la création de l’Etat prussien ? Tout ceci est plongé dans le néant que l’on caractérise bien comme « nihilisme », mais qu’il faut expliquer : « rien d’autre que » est sa formule ; ainsi ne m’intéresse rien que ce qui touche à mes besoins, je ne veux rien d’autre que la chute de Khadafi, peu importe que je fasse débarquer la flotte U.S. ou l’O.T.A.N., peu importe le programme politique de l’opposition, qu’elle en ait ou pas, je ne veux rien d’autre que ce qui est affiché sur mon écran ; je m’élance contre les forces de l’ordre ; elles tirent par réaction ; j’ai des martyrs, je les venge et retourne à mes activités sans me préoccuper du sort de l’ensemble du pays, des accords de Camp David, des palestiniens enfouis dans les tunnels, ce n’est pas mon problème ; le mien, c’est la liberté, ma liberté, celle de ceux qui « sont avec moi » par l’image ou par la pensée.

Il en résulte des manifestations avec un faux objet : la chute du tyran du jour, une sorte de Lorenzaccio à la Musset, sur des places de la Liberté. Maintenant, quant à savoir comment un pays égyptien avec un million d’enfants sans famille, selon le chiffre de l’Unicef, peut subsister, ce n’est pas le problème.

Le problème est d’user de l’impératif mis en circulation par le tunisien Tarak Ben Hammar : « Dégage Ben Ali ! ». Qui est ce Tarak Ben Hammar ? Celui qui a organisé plus de soixante pitreries ou concerts de Mickael Jackson !

Cette atmosphère de révolution permanente ou de chaos minime répond à la thèse trotskyste que les Wolfowitz, les Soros et tous les élèves de l’école infernale ont entendue dans leur enfance ; c’est le lait qu’ils ont sucé et communiquent à autrui, pour les faire entrer dans la ronde de l’Amérique liberticide, celle qui est décrite dans le film Inside Job.

Malheur aux maîtres qui n’ont pas discipliné cette jeunesse ; il nous manque une éducation, et des éducateurs. Cette jeunesse va à la dérive, elle est utilisée, sans le savoir, comme un contrepoids anarchique à tout Etat fort nécessaire.

Lisez Platon, lisez Aristote et toute la rangée des philosophes qui ont conduit l’homme à la surhumanité, car l’homme en soi n’est qu’une abstraction ; il est ou inférieur ou supérieur à l’idée que la raison s’en forme, et l’éternel mercantile nous tire vers le bas, quant à l’éternel féminin, il est absorbé par le troisième sexe, celui de la Bête de l’Apocalypse.

Je demande que l’on réfléchisse à ce nominalisme. Léon Daudet aimait à citer un propos de saint Thomas d’Aquin qu’il voyait comme le sommet de l’intelligence humaine ; ce prêtre germano-italien parlait, après Aristote, d’un intellectif actif produisant l’universel qui est unité dans le multiple. Aujourd’hui les manipulateurs ou reconstructeurs de la Société défont cet intellect actif et « la rupture de cet équilibre aboutit à des sortes de folies collectives » [2]. Daudet, en catholique rationaliste, disait que l’homme rejoint alors l’animal. Non ce dernier nous dépasse : il n’abandonne pas un instinct général de survie. Il est incapable de fausses révolutions. Il nous survivra.

Pierre Dortiguier

Notes

[1] « Essai sur l’inégalité… », chapitre VIII, Définition du mot de civilisation ; le développement social résulte d’une double source, Pages choisies, Paris, Mercure de France, 1905, p. 81

[2] « Les universaux », Essai sur les mouvements et les figures des idées et des passions humaines. Grasset, 1935

 
 






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5 Commentaires

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  • #5260
    Le 11 mars 2011 à 19:50 par le journal de personne
    Des vraies et fausses révolutions

    Kahina
    D’où nous vient ce vent de révolte qui soulève tous les damnés de la terre et qui est en passe de traverser la méditerranée ?
    Peut-être pour sacrer ou consacrer la femme de l’année…
    Rien qu’à l’entendre souffler, on a le sentiment, d’ores et déjà qu’il vient des Aurès.
    Vous n’avez pas une infime conviction que quelque chose va désormais bouger…avec ou sans notre bénédiction ?

    http://www.lejournaldepersonne.com/2011/03/kahina/

     

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  • #5262
    Le 11 mars 2011 à 20:43 par foma
    Des vraies et fausses révolutions

    on mesure mieux à lire ce texte, pas mauvais mais quand même bien alambiqué pour un contenu assez léger, à quel point qqn comme Soral à un réel talent faire passer simplement des idées complexes. Pamphlétaires de tous les pays, ne vous écoutez pas parler ! Visez plutôt l’honneteté intellectuelle que le verbiage, fût-il beau...

     

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    • #5337
      Le Mars 2011 à 16:35 par resistancebelge
      Des vraies et fausses révolutions

      C’est pourtant pas compliqué à comprendre : Dortiguier se lance dans un diatribe de notre jeunesse : il dénonce sa fragilité, son esprit hypermaniable, son manque de vision globale, son abêtissement, l’hypertrophie de son Moi, son déficit d’instruction et de conscience et enfin et surtout sa culture du verbe, du moment et des idéaux au mépris de l’action authentique, du réel et de ses enjeux. Même quand tu crois lutter contre le système et pour la liberté, tu n’es jamais au bout de tes surprises, car la réalité est par essence complexe et que pour comprendre les véritables enjeux, il faut du temps et de l’intelligence. Or c’est précisément ce qu’il nous manque (à nous les jeunes). Pour dire les choses plus simplement, comme Mohammed Hassan au sujet de ce qui se passe en Libye en ce moment : Si vous faites partie de l’opposition d’un pays, que vous êtes patriotique et que vous souhaitez renverser votre gouvernement, vous tentez cela correctement. Vous ne créez pas une guerre civile dans votre propre pays et vous ne lui faites pas courir le risque d’une balkanisation.
      Toujours un plaisir de lire Dortiguier : ce sont ces philosophes, ces authentiques intellectuels qui font encore l’honneur de votre France, ne l’oubliez jamais !!!

       
  • #5313
    Le 12 mars 2011 à 12:10 par Didier
    Des vraies et fausses révolutions

    "L’abus de termes, ou la manière de remplacer les choses par des mots, forme la vanité ou l’escroquerie de notre modernité, ou plutôt celle-ci est l’exaspération de cette tendance qui est appelée nominalisme, par opposition au réalisme."

    C’est le contraire. Le nominalisme est le refus philosophique de raisonner à partir de concepts et de catégories logiques, la réalité étant irréductible à ceux-ci.

     

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  • #5658
    Le 15 mars 2011 à 10:59 par Eisbär
    Des vraies et fausses révolutions

    "Depuis déjà deux générations, « la jeunesse », à savoir une partie de la population, est isolée par les manipulateurs de l’opinion publique et de la consommation."




    Tout est dit. Comment ose-t-on encore appeler "révolution" des émeutes du désire, de l’envie consumériste, de l’avidité pour la matière ? Comment ose-t-on nous amuser avec des émeutes sociétales en les faisant passer pour des révolutions sociales ?

    La jeunesse moderne ne pourra se livrer à la geste révolutionnaire que lorsqu’elle aura su se détacher des scories de la modernité. D’une jeunesse qui passe son temps à se mirer le "moi" dans des écrans d’I-phone, d’I-Pod, de TV ou d’ordinateur, on ne peut pas attendre de révolution.

    La seule chose que l’on peut attendre ce sont des émeutes d’enfants capricieux qui veulent pouvoir assurer à leurs désirs soigneusement entretenus par le système, l’interminable cohorte émotionnelle addictive.

    La vraie révolution aujourd’hui c’est déjà de se passer de la technique totalitaire, des boîtes à plaisirs narcissiques stupéfiantes qui endorment les consciences dans un cercle vicieux interminable et bêtifiant.

     

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