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A Neuilly, le logement social est aussi pour les riches

En collaboration avec les sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot, " Le Monde 2 " s’est intéressé au logement social à Neuilly-sur-Seine, l’une des plus riches communes de france. Hauts fonctionnaires, cadres de l’UMP, membres des clubs parmi les plus sélects, figures du "bottin mondain" et du "who’s who", on est loin du profil classique des occupants de HLM. Enquête dans la ville qui, de 1983 à 2002, a été administrée par l’actuel président de la République.

Au château le week-end, en HLM la semaine. Voilà le mode de vie plutôt singulier de certains bénéficiaires de logements sociaux à Neuilly-sur-Seine. Dans cette ville, l’une des plus riches de France, celle-là même qu’a dirigée pendant près de vingt ans (de 1983 à 2002) le président de la République Nicolas Sarkozy, rien, ou presque, ne se passe comme ailleurs. Smicards, foyers monoparentaux, familles nombreuses des classes moyennes : la population habituelle des appartements à loyer plafonné s’enrichit à Neuilly de profils plus inattendus.

Familles nobles, PDG ou hauts responsables de l’administration du département des Hauts-de-Seine, souvent propriétaires de résidences secondaires, parfois même de châteaux en province, bénéficient d’appartements dans le parc social locatif de Neuilly.


Ajoutez à cela des cadres supérieurs d’entreprise, professions libérales, fonctionnaires bien placés de la Ville… Une partie des 954 logements sociaux de Neuilly, recensés comme tels au 1er janvier 2007 au titre de la loi SRU (solidarité et renouvellement urbains), n’est pas attribuée à des familles défavorisées, ou qui n’auraient pas les moyens de louer dans le secteur privé. Mais à des Neuilléens qui, à l’abri du besoin, résident dans ce havre de luxe et de verdure francilien pour un coût inférieur à celui du marché.

"ICI, CE N’EST PAS LA TRANSPARENCE "


A l’origine de cet édifiant constat, en pleine crise du logement, une rencontre avec Monique et Michel Pinçon-Charlot. Tout juste retraités du Cnrs, les deux sociologues, fins observateurs des us et coutumes de la grande bourgeoisie, viennent de publier Les Ghettos du gotha (Seuil), qui détaille les stratégies de concentration territoriale des plus riches. Ils nous avouent une frustration. S’ils parlent longuement de Neuilly dans leur livre, et de ses rares HLM, ils n’ont pas eu le temps de creuser un aspect crucial : qui en sont les occupants ?


On sait que les logements sociaux ne représentent que 3 % des résidences principales de Neuilly, quand la loi SRU impose un objectif de 20 % à l’horizon 2020, mais on ne sait rien de la population qui y réside. Nous nous associons pour mener l’enquête.

Première étape, conversation avec les élus de l’opposition de gauche. Le tour est vite fait : ils ne sont que trois sur les quarante-cinq membres du conseil municipal. Deux PS, un Vert. Quelle est la liste des HLM de la ville ? Combien y a-t-il d’appartements ? De quel type exact de logements sociaux s’agit-il ? Quelles sont les procédures d’attribution ?… Silence. Rien. Ils n’en savent rien.


"C’est mon cheval de bataille depuis vingt-quatre ans… Et je ne sais toujours rien ! lance, désabusée, Lucienne Buton, élue PS depuis 1983. Ici, ce n’est pas la transparence ! J’ai commencé à poser des questions sur les HLM parce que je voyais partir toutes les classes populaires et moyennes. Je me rendais bien compte que Neuilly devenait de plus en plus un ghetto de riches !"


DES HLM D’UN STANDING CERTAIN



Depuis des années, à chaque conseil municipal, elle revient donc à la charge. Interroge sur le nombre de demandes en attente. Réclame la liste exhaustive des logements HLM existants. Des explications sur le mode de fonctionnement de la Semine, la société d’économie mixte détenue à 80 % par la Ville qui joue ici le rôle d’office HLM, et dont le président est le premier adjoint au maire, en charge du logement.


Qui sont les membres de la commission d’attribution ? Quels sont les critères d’attribution des logements ? Peine perdue. "A la mairie, ils savent que nos demandes sont légitimes. Alors, ils nous disent sans cesse : On vous donnera des listes, des chiffres en fin d’année , mais on ne voit jamais rien venir !", s’agace Thierry Hubert, urbaniste, élu Vert depuis 2001.

Comme Lucienne Buton, il a demandé à siéger à la commission d’attribution ou au conseil d’administration de la Semine. Et a essuyé un refus. Une seule fois, en 1995, l’opposition a eu un droit de regard. Grâce à l’Eglise catholique, qui cédait des terrains à la Ville sous condition que soient bâtis des immeubles à caractère social. Ces logements HLM neufs situés avenue du Roule ont été attribués par une commission dans laquelle siégeait l’opposition. Lucienne Buton tempère : " Nous avons siégé, choisi, mais nous n’avons jamais eu la liste finale des 52 locataires… ".

Nous demandons officiellement à la direction départementale de l’équipement (DDE) des Hauts-de-Seine l’inventaire des logements sociaux de Neuilly établi chaque année dans le cadre de la loi SRU. Après plusieurs semaines d’attente, la responsable du service Habitat nous informe que "ces listes ne font pas l’objet à ce jour d’une publication officielle des services de l’Etat", et nous précise qu’elle n’a pas obtenu l’accord de sa hiérarchie pour nous les fournir. Sur le site Internet des Verts de la ville, une liste apparaît bien : ce sont deux étudiantes qui, en 2006, ont obtenu ce document auprès du service de l’urbanisme de la mairie. " Je pense avoir eu de la chance, explique l’une d’elles. Le fait que ce soit un technicien qui me l’ait fourni et non un élu y a sans doute été pour beaucoup… "

DIX-HUIT ADRESSES HLM, POUR UNE VILLE DE 61 000 HABITANTS

Sur la demande pressante des élus de l’opposition, la direction de l’urbanisme à la mairie, puis la DDE acceptent du bout des lèvres de valider la liste des 937 logements sociaux neuilléens au 1er janvier 2006 (à laquelle se sont ajoutés 17 appartements courant 2006).

Nous démarrons une tournée pédestre avec Monique et Michel Pinçon-Charlot, habitués à arpenter la ville en tous sens depuis vingt ans. Dix-huit adresses HLM, pour une ville de 61 000 habitants. Des immeubles proprets des années 1920, à façades de brique. Des constructions cubiques des années 1960, avec pare-balcons en verre fumé et jardins intérieurs soigneusement entretenus. Et des nouveautés au classicisme de bon aloi : pierre de taille, balcons en fer forgé, entrées en similimarbre, verre et bois clair… Au 39, rue de Villiers, dernier HLM érigé, la façade offre un arrondi qui doit donner du charme aux salons, et même de grandes terrasses à certains étages. "Pour qui ne dispose pas des adresses, relèvent les deux sociologues, la plupart des HLM sont d’un standing qui les rend indécelables, d’autant qu’ils sont dispersés aux quatre coins de la ville."


Lorsque les concierges et les multiples digicodes nous le permettent, lorsqu’une porte s’entrouvre, nous recueillons le patronyme des habitants sur les boîtes aux lettres ou les interphones à noms déroulants. Monique, d’emblée chaleureuse, a l’art de lier conversation avec les gardiennes ; Michel celui de noter sans en avoir l’air. Premières constatations : nous relevons très peu de noms à consonances africaines ou maghrébines, et remarquons quelques sociétés domiciliées dans ces appartements.

La discussion s’engage parfois avec des habitants. Ici des adolescents confient que leur père est gestionnaire de fortune dans une banque suisse. Là une jeune femme, qui avait déjà vécu en HLM avant d’emménager au 28, boulevard du Général-Leclerc, en bord de Seine, n’en revient pas que ses nouveaux voisins soient si "chics" : "C’est agréable, ici ! Il y a même un jardin intérieur… Et dans le parking, les voitures, ce ne sont pas des voitures de HLM !" Nous y pénétrons avec elle. Peugeot 607, Citroën C5, énorme 4 x 4, BMW, coupé Alfa Romeo de collection…

Autre adresse. "Y a-t-il dans votre immeuble des gens que vous ne vous attendriez pas à voir en HLM ? , demande-t-on à une habituée des lieux. Elle éclate de rire. "Pour être honnête, à part deux ou trois personnes, il n’y a que ça ! On est dans un château ici. Il n’y a que des gens qui ont de bonnes positions, qui sont très exigeants. Que des Blancs. Faut dire, c’est relativement cher, faut avoir l’emploi ou la retraite qui va avec l’appartement. Et puis, il faut pouvoir vivre à Neuilly. Moi, pour faire mes courses, je dois prendre la voiture et aller en banlieue ! Expression savoureuse. Neuilly, ce n’est pas la banlieue.

DU WHO’S WHO AU BOTTIN MONDAIN

C’est un monde à part. Avenue du Roule, une gardienne tirée à quatre épingles nous décrit "ses" locataires : "Il y a de tout ici, on a même d’adorables petits Noirs. Des Cap-Verdiens."

L’immeuble, en pierre blanche, est éclairé par des lanternes à l’ancienne et bordé d’une allée plantée d’arbres. "C’est du HLM de Neuilly, justifie-t-elle. Il fallait bien que ça reste dans le cadre !" Sur Internet, l’annuaire nous fournit d’autres noms : aux adresses des HLM, nous retrouvons tous les détenteurs de lignes téléphoniques fixes qui n’ont pas souhaité se dissimuler sur liste rouge. Et grâce au recensement électoral, nous complétons le tableau. Des centaines de noms que nous passons ensuite systématiquement aux filtres du Bottin mondain, l’annuaire de la haute société, du Who’s Who, qui inventorie l’élite professionnelle du pays, et des moteurs de recherche du Web.


Résultat : les membres de la noblesse et de la grande bourgeoisie occupent une part non négligeable des appartements. Dans le parc social neuilléen, nous retrouvons ainsi une trentaine de familles ou de personnalités qui ont confié leur adresse privée au Who’s Who ou au Bottin mondain, publications librement accessibles. Dans ce dernier ouvrage, parmi les 1 463 familles mentionnant Neuilly comme lieu de résidence, 21 ont fourni une adresse qui correspond au parc social.

Au total, nous découvrons sept fils ou filles de comtes et de comtesses. Une douzaine de propriétaires de résidence secondaire ("domaine" au Lavandou, "prieuré" en Suisse…), parfois même de plusieurs, ainsi que six membres de familles qui possèdent au moins un château. De fil en aiguille, nous lisons même sur Internet la petite annonce passée en août 2007 par un bénéficiaire de logement social au nom riche de deux particules, qui met en location un appartement dont il est propriétaire au métro Pont-de-Neuilly…


Les cercles les plus prestigieux et fermés sont représentés : membres du Jockey Club, de l’Automobile Club de France, de l’Association sportive du Cercle du bois de Boulogne (pour ce dernier, les droits d’inscription atteignent 8 000 euros, la cotisation annuelle 800 euros). Tout comme les décorés de la Légion d’honneur, de l’Ordre national du mérite, des Palmes académiques. Autre singularité, la présence de dirigeants de société et de cadres supérieurs d’entreprise. A l’instar de Nicolas Arthus-Bertrand, pdg de la société Arthus-Bertrand, fondée en 1803, installée place Saint-Germain-des-Prés, à Paris, qui emploie 280 salariés et a réalisé 24 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2006.

EN TOUTE LÉGALITÉ


Dans les logements sociaux de Neuilly, comptabilisés au titre de la loi SRU, on a encore le loisir de croiser de hauts responsables de chez, entre autres, Nissan, Total ou Veolia environnement, ou de la télévision publique. Une poignée de dirigeants de PME, d’administrateurs de société, de médecins, d’avocats, magistrats, experts-comptables, analystes financiers, inspecteurs des impôts, etc. Un ex-grand secrétaire de la Grande loge nationale française.

On remarque aussi des responsables du conseil général des Hauts-de-Seine et de l’office départemental d’HLM. Comme Hervé Bolze, bras droit du directeur de l’Office, qui fut aussi le directeur de cabinet de Patrick Balkany à la mairie de Levallois. Ou Halina Gruda-Hendzel, actuelle directrice générale adjointe du conseil général. Puis viennent des proches de l’UMP. La responsable de la communication du parti, Sabine Rozier-Deroche. Le trésorier départemental du même parti, Sami Chatila, également conseiller municipal de la majorité à Neuilly. Un ancien conseiller municipal RPR de Neuilly. Et une chargée de mission auprès du chef de cabinet de Nicolas Sarkozy.

"ALEXANDRE VOULAIT ÊTRE À NEUILLY. ET NEUILLY, C’EST CHER"

Dernière découverte, au 18-20, rue Garnier : Alexandre Balkany, qui vient à peine de déménager après sept années de présence dans l’immeuble. Il est le fils d’Isabelle Balkany, actuelle vice-présidente du conseil général des Hauts-de-Seine et de Patrick Balkany, député-maire UMP de Levallois-Perret, ex-vice-président du conseil général des Hauts-de-Seine (1982-1988), ex-président de l’office HLM du département (1985-1988) et ami de longue date de Nicolas Sarkozy.


Alexandre dirige une petite société de production audiovisuelle, Kawa productions, qui vend une émission de poker à la chaîne Direct 8, installée à Puteaux et appartenant au groupe Bolloré. En 2004, alors qu’Alexandre Balkany occupait déjà son appartement à loyer plafonné de Neuilly, le conseil municipal de Levallois-Perret lui avait octroyé une indemnité d’éviction de 75 000 euros pour récupérer le local de sa société Netconnect (logiciels informatiques) loué à la municipalité et y réaliser… des logements sociaux.

Nous sollicitons Alexandre, c’est sa mère, Isabelle Balkany, qui nous répond : "Mon fils a eu ce logement en 2000, à 20 ans. Il voulait son indépendance mais ne pouvait pas s’assumer financièrement. Or ce sont bien les revenus personnels du demandeur qui comptent. Nous, nous l’aidions autant que nous pouvions mais à l’époque, nous étions dans une situation professionnelle et financière moins facile. Son père n’était plus ni député ni rien…" Mme Balkany souligne la cherté du loyer payé : 950 euros, charges comprises, pour un 35 mètres carrés. Pourquoi, alors, ne pas avoir cherché dans le secteur privé ou dans une ville voisine ? "Alexandre voulait être à Neuilly. Et Neuilly, c’est cher", rétorque-t-elle.

Pour choquante qu’elle soit, cette situation peut parfaitement être en phase avec la loi. Bien des locataires "sélects" habitent des HLM dont l’attribution n’était soumise à aucune condition de ressources au moment de leur entrée dans les lieux. C’est le cas des ILN (immeubles à loyer normal) qui s’élèvent au 28, boulevard du Général-Leclerc et au 17-23, rue d’Ybry. Propriété de l’office HLM des Hauts-de-Seine jusqu’au début 2007, ces bâtiments ont été cédés à la Semine. Une convention vient d’être signée avec l’Etat et les 212 logements sociaux qui se trouvent à ces deux adresses seront, à l’avenir, loués à des particuliers dont les revenus n’excèdent pas un seuil donné.

"GAGNER SUFFISAMMENT D’ARGENT POUR ENTRER DANS LES LIEUX… "

Mais jusqu’alors les critères de ressources n’entraient pas en ligne de compte bien que ces logements soient recensés au titre de la loi SRU de décembre 2000, supposée "garantir un meilleur respect du droit au logement et de la mixité sociale". Le trésorier de l’UMP des Hauts-de-Seine assure avoir obtenu son logement en 1988, alors qu’il n’exerçait aucune fonction politique, dans des conditions " tout à fait normales ". Idem pour le Pdg d’Arthus-Bertrand : "A l’époque, on ne parlait pas de revenu maximal. Il fallait même gagner suffisamment d’argent pour entrer dans les lieux… " Ou pour Hervé Bolze, de l’office HLM des Hauts-de-Seine." M. Bolze s’est vu attribuer un logement qui n’était soumis à aucune condition de ressources. Rien n’interdisait de le lui louer", fait-on valoir à l’office.

La sociologie du peuplement des HLM neuilléens résulte aussi des techniques de financement du logement social. L’apport du conseil général fait de cet organisme un "réservataire" qui dispose d’un contingent d’appartements. Trente agents du conseil général des Hauts-de-Seine sont donc logés dans le parc social de Neuilly, dont six dans les appartements sociaux les plus haut de gamme. La directrice de la communication de l’UMP, ancienne attachée de presse puis directrice de la communication du conseil général, bénéficie d’un appartement social (de 90 mètres carrés pour 1 150 euros) à ce titre, mais nous avoue s’être parfois "posé la question d’un déménagement

" depuis sa prise de fonctions à l’UMP. En revanche, la directrice générale adjointe du conseil général, Halina Grunda-Hendzel, ex-chef de cabinet de Charles Pasqua lorsqu’il présidait le conseil, est logée en dehors de ce contingent. Elle n’a pas souhaité s’exprimer.

Autre explication : le foncier est rare et cher à Neuilly, comme le rappelle sans cesse la mairie. Les bailleurs en sont donc réduits à acquérir des immeubles anciens du parc privé pour les transformer en HLM. Les locataires en place au moment du rachat ont le droit de rester, même avec des revenus supérieurs aux plafonds, du moment qu’ils s’acquittent d’un surloyer. Cinq adresses HLM de la ville sont concernées. En 2000, par exemple, le bailleur social I3F a acheté à la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (Cnav) un ensemble immobilier donnant sur deux rues, au 43, rue de la Ferme et au 125, boulevard du Général-Koenig. Lorsque la transaction a été actée, la plupart des 214 appartements étaient déjà occupés. Il reste encore seize anciens occupants payant un surloyer.


Depuis 2000, 148 nouveaux ménages se sont installés rue de la Ferme et boulevard Koenig, fait-on remarquer chez I3F. La population s’est renouvelée à 70 %, et 20 % des nouveaux habitants bénéficient de l’APL, prestation distribuée aux personnes ayant de faibles revenus. Reste que dans les appartements déclarés sociaux (financés en partie par la mairie, ce qui lui permet d’éviter les pénalités liées à la loi SRU) résident bon nombre d’anciens locataires aisés du secteur privé. Comme ce haut responsable de la télévision publique, originellement locataire du Gan, qui " se tamponne " de voir son appartement figurer dans la liste des logements sociaux de la ville : " Ce ne serait pas normal que pour loger des gens, on en vire d’autres ! " Selon lui, sur la vingtaine d’appartements que compte son immeuble, une moitié est encore occupée par des ex-locataires du privé.

Le maire (UMP) de Neuilly, Louis-Charles Bary, assure au Monde 2 respecter " totalement la loi et les règles d’attribution " : " Nous n’avons jamais donné de logements sociaux à des gens au-dessus des plafonds de ressources. Plafond qui est, au maximum, de 47 000 euros annuels pour un ménage avec enfant. Je le sais puisque quand un logement social appartenant à la ville se libère, ce qui est rare, c’est moi qui l’attribue ! On ne va tout de même pas réunir une commission d’attribution de quatorze personnes pour quelques logements chaque année ! Si les familles déjà installées viennent ensuite à dépasser les plafonds, nous appliquons des surloyers. " Mais en région parisienne, ce supplément de loyer ne comble pas le fossé avec les prix du marché. Insuffisamment dissuasif pour inciter les familles aisées à céder la place.

Certains HLM, remarquons-nous, sont réservés à des clientèles spécifiques et assurément solvables. A Neuilly, 30 % des logements sociaux accueillent des jeunes fonctionnaires (contrôleurs et inspecteurs des impôts) du ministère des finances, des personnes âgées et des handicapés dans des résidences prévues pour eux.



L’élu Vert, Thierry Hubert, nous décrit ce qu’il considère comme autant de stratégies de sélection des bénéficiaires : "On impose aux postulants un critère de cinq années de résidence préalable dans la commune. On ne construit pas n’importe quel type de HLM. On loge en priorité des fonctionnaires de la ville. Et on n’applique pas le plan départemental d’aide au logement des personnes défavorisées, en vertu duquel chaque commune est censée faire un effort en faveur des plus démunis." Ce que reconnaît devant nous le maire d’un simple : "Je n’ai pas les appartements pour les loger."

Bref, poursuit Thierry Hubert, "le premier souci de la mairie n’est pas de mener une politique sociale, de répondre à l’enjeu du logement des personnes sans emploi, des travailleurs précaires, des petits salaires du privé. C’est de ne rien dépenser ! De faire en sorte que les opérations qu’elle est obligée de mener sous la contrainte légale soient rentables. Donc, récemment, ce sont essentiellement des logements PLS, le haut de gamme du HLM, qui ont été livrés. La mairie le justifie en disant qu’avec le prix du foncier, ici, c’est la seule façon d’équilibrer les comptes ".

METTRE "FIN AUX ABUS" ?


Et elle peut faire ce choix en toute légalité. Car pour prendre sous son aile des catégories socioprofessionnelles diverses, ce qui est sa vocation, le monde HLM propose plusieurs types d’habitations, avec des niveaux de loyer et des critères d’éligibilité très différents : PLAI (prêt locatif aidé d’intégration) réservés aux ménages à faibles ressources, PLUS (prêt locatif à usage social) correspondant au " HLM standard " auquel peuvent prétendre les deux tiers de la population, et enfin PLS (prêt locatif social), plutôt dédiés aux catégories sociales intermédiaires.


Les PLS représentent un peu plus du tiers du logement social à Neuilly, alors que les PLAI sont trois fois moins nombreux. Au 39, rue de Villiers par exemple, un F3 en PLS se loue 660 euros (charges comprises), un F4 de 85 mètres carrés, 960 euros. Logements bon marché pour Neuilly, mais inaccessibles aux ménages à faibles ressources.

Le maire, qui parle plus volontiers de "logements familiaux" que de HLM, confirme volontiers cette préférence pour le haut de gamme. "C’est tout à fait normal. Nous faisons en fonction de la population de Neuilly, à laquelle nous donnons la préférence. L’idée, c’est d’abord de faciliter l’accès au logement des jeunes nés ici qui démarrent."

LES NEUILLÉENS PEUVENT ÊTRE TRANQUILLES

Comme ces deux locataires du parc social, filles d’un conseiller-maître à la Cour des comptes, ancien conseiller à la présidence de la République. " Avec ce système de gestion, les Neuilléens peuvent être tranquilles, constatent Monique et Michel Pinçon-Charlot, en sortant du vaste bureau du maire. Dans cette ville, ce n’est pas du parc social que pourra venir le danger de la mixité résidentielle. Les HLM reproduisent, un cran en dessous, la structure sociale de Neuilly. "

A tel point que les ménages démunis s’autocensurent, persuadés qu’il ne sert à rien de déposer une demande de logement à Neuilly. "Il y a bien des petites gens à Neuilly, pour servir la soupe des grands, résume, caustique, Michel Laubier, premier adjoint au maire PC de Nanterre et conseiller général des Hauts-de-Seine. Ils nous écrivent, désespérés. Ils nous disent que ça ne sert à rien de demander un logement à Neuilly, et nous en demandent à nous, à Nanterre."

Le 11 décembre 2007, présentant en Meurthe-et-Moselle son plan logement, le président de la République a exigé que de la "transparence" soit "réintroduite" dans les procédures d’attribution des HLM pour mettre "fin aux abus".


Rappelant que 1,5 million de ménages étaient inscrits sur liste d’attente pour accéder à un HLM et que 400 000 logements sociaux étaient occupés par des ménages dépassant les plafonds de ressources, il a plaidé pour que "le logement social joue à nouveau son rôle d’intégration sociale", précisant que "le parc social [devait] accueillir en priorité ceux dont les revenus ne leur permettent pas d’être logés dans des conditions décentes par le libre jeu du marché". Reste maintenant à savoir si la parole du chef de l’Etat sera suivie d’effets dans son fief.


Interrogé par Le Monde 2, David Martinon, porte-parole de l’Elysée et candidat à la mairie de Neuilly, n’a pas souhaité répondre nos questions.

Source : http://www.lemonde.fr