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L’écriture inclusive exclut-elle quelque chose ?

Sauf à revenir d’une mission de longue durée sur Mars, vous ne pouvez pas ignorer que la langue française a développé ces dernières années une série de symptômes inquiétants, sous forme de boutons se multipliant rapidement, associés à une prolifération inhabituelle de la lettre e, voire de groupes de lettres apparemment anarchiques.

 

La maladie touche principalement la communication institutionnelle, surtout celle se prétendant « de gauche », « progressiste » ou « syndicale », mais n’épargne pas pour autant les milieux cultivés, puisqu’elle se répand même dans les départements de lettres des universités. En voici quelques échantillons in vivo :

Cher·e·s collègues, Nous vous proposons l’actualité syndicale récente, …

Cher·e·s collègues, Le site du Forum 2020 est désormais ouvert pour la soumission des résumés…

Jusqu’à présent le modèle officiel de l’inspection individuel [sic] rabat l’évaluation des pratiques professionnelles des enseignant·e·s sur l’observation d’une heure de cours, la consultation des documents et affichages pédagogiques des professeur·e·s, de copies corrigées et des supports des élèves. Un entretien porte ensuite le plus souvent sur ces seuls éléments même si de nombreux·ses inspecteur·trice·s en élargissent le spectre.

Les gardiens de la langue – qui peuvent être des femmes – ont eu beau alerter sur la dangerosité de l’épidémie, il semble que la maladie n’ait pas encore pu être enrayée. Peut-être parce que le diagnostic n’est pas le bon ? Se pourrait-il que cette écriture se voulant inclusive – par opposition à l’écriture habituelle qui, elle, pratiquerait l’exclusion de certaines catégories de personnes, et notamment des femmes – soit en réalité terriblement exclusive de quelque chose ?

La première chose qui vient à l’esprit, c’est le caractère imprononçable du texte ainsi « inclusifié ». Pour une langue vivante, c’est gênant. Pour des enfants apprenant à écrire, c’est dramatique. Pour ceux d’entre eux qui souffrent le plus – en temps normal – de cet apprentissage, c’est cruel, et n’arrangera certainement pas leur progression. L’écriture inclusive est donc déjà, de fait, terriblement exclusive envers les moins performants dans l’acquisition du langage, comme elle est exclusive de l’harmonie et de la cohérence de la langue, qui se voit scindée en deux langues différentes, une que l’on peut écrire mais pas prononcer, et l’autre prononcer mais pas écrire.

Mais il y a peut-être pire. La maladie se propage en se prétendant guérisseuse : elle voudrait éradiquer de la langue le fléau de l’oppression patriarcale millénaire, celle qui maintient les femmes en esclavage depuis des siècles et des siècles (amen). C’est en tout cas la justification qui est donnée au charcutage de la vieille langue, apprise de la même façon depuis des générations à quelques variations près, mais qui serait porteuse d’une insupportable violence envers le sexe féminin, impitoyablement écrasé par la règle du « c’est le masculin qui l’emporte », et qu’il serait donc urgent de remplacer par une langue neuve et inclusive. Exemple d’injustice : « 999 femmes et 1 homme se sont précipités au centre commercial pour l’ouverture des soldes ».

Mais est-on bien sûr que cette règle grammaticale relève de la domination patriarcale délibérée ? Quand on hésite sur la validité ou l’étendue du domaine d’application d’une loi, en sciences, il peut être utile de transposer cette loi à un domaine légèrement différent de celui où on la teste. Par exemple, pour savoir si la verticale est une seule et même direction, dotée d’un sens qui indique vers où tombent les objets, si l’on sait que la Terre est (à peu près) ronde, on peut se demander si les Néo-Zélandais vivent la tête en bas en marchant sur les pieds ou la tête en haut en marchant sur les mains [1].

Dans le cas de l’écriture inclusive, il peut être tentant d’examiner les règles d’accord de genre dans les versions traditionnelles d’autres langues de pays à la culture proche, par exemple l’allemand. Cette langue a de plus l’avantage, par rapport au français, de disposer de trois genres : le féminin, le masculin et le neutre. Certain(e)s puristes rétorqueront que le français dispose en réalité d’un genre neutre (alors que certain(e)s veulent en créer un de toutes pièces…), mais comme il s’écrit en pratique de façon identique au masculin, l’allemand permet de clarifier les raisonnements.

Prenons donc quelques exemples : l’automobile (féminin en français) se dit das Auto (neutre) en allemand. Ou encore der Wagen (masculin) d’où nous vient la marque Volkswagen, « voiture du peuple », un projet industriel d’envergure qui a contribué à la popularité d’un petit brun à moustache ridicule dans les années 30 du siècle dernier. La femme se dit die Frau (féminin, on s’en doute) ; il y a donc trois articles définis au singulier en allemand : das (neutre), der (masculin) et die (féminin). En français nous n’avons que le et la, respectivement pour le masculin et le féminin.

Et comment se dit « les », l’article défini pluriel, en allemand ? Die, soit exactement la même forme que l’article défini féminin singulier. Les automobiles : die Autos. Les voitures : die Wagen [2]. Il semble donc que la règle (mnémotechnique) soit plutôt ici « c’est le féminin qui l’emporte »…

Qu’en est-il maintenant de l’accord de l’adjectif, ou du participe passé, suivant le genre en allemand ? Le pluriel est-il « dominé » par le féminin ou le masculin ?

La déclinaison de l’adjectif se subdivise en trois cas : déclinaison faible avec article défini, déclinaison mixte avec article indéfini, ou déclinaison forte en l’absence d’article. Seuls les premier et dernier ont une forme plurielle permettant de savoir si c’est « le masculin qui l’emporte » ou « le féminin qui l’emporte », puisque l’article indéfini pluriel (« des » en français) n’existe pas en allemand. Or, aucune règle de « domination masculine » ne peut être tirée des déclinaisons faibles ou fortes, comme on pourra le constater à la lecture des tableaux : en déclinaison faible, la forme plurielle est certes similaire au masculin singulier pour l’accusatif, mais ce n’est pas vrai pour les trois autres cas, où le pluriel a soit sa propre terminaison, soit une terminaison commune avec les trois genres singuliers. Et en déclinaison forte, à l’exception du datif, ce serait plutôt encore « le féminin qui l’emporte » – simple observation à but mnémotechnique, sans considération sur les causes profondes – puisque la terminaison -e ou -er se retrouve à la fois au féminin singulier et au pluriel.

Quant au participe passé, c’est bien simple : il ne s’accorde pas, sauf à être traité comme un adjectif (die geliebte Mutter : la mère bien-aimée… comme der geliebte Vater pour le père bien-aimé !).

Peut-on déduire de ces constatations linguistiques que la société allemande est plutôt sous domination matriarcale, et qu’il serait donc urgent d’inclusifier la langue [3] en y rajoutant du masculin [4] afin que les hommes se sentent moins outrageusement rabaissés à leur condition de sous-femmes qu’ils ne le sont actuellement par la faute des règles de grammaire allemandes ? Pas vraiment, et ce pour au moins deux raisons : d’une part, il existe bien des cas où « le masculin l’emporte » au pluriel des noms, comme « l’étudiant / l’étudiante / les étudiants » qui se traduit par « der Student / die Studentin / die Studenten » (« les étudiants » se disant « die Studenten » que l’assemblée soit mâle ou mixte, comme en français), mais aussi parce que la société allemande n’accorde pas une place particulièrement « plus égale » aux femmes que la société française, ce serait même plutôt l’inverse. Bien sûr, on y trouve aujourd’hui comme ailleurs des féministes à divers degrés, mais une « bonne Allemande » reste encore, majoritairement, une femme qui prend soin de son foyer et de l’éducation de ses enfants, plutôt qu’une femme « qui réussit » en faisant « une carrière prestigieuse ». Le modèle scolaire allemand, souvent cité en exemple – avec raison – parce qu’il sait ne pas trop mettre sous pression les enfants tout en leur donnant une bonne éducation et la possibilité de s’épanouir dans des activités annexes (musique, sport…), doit aussi son succès à la disponibilité des parents, qui sont souvent des mères, pour être à la disposition de leur progéniture quand l’école termine entre 12h et 15h… difficile à faire quand les deux membres du couple travaillent.

Bref, comme tant de revendications prétendument progressistes, celle de l’écriture inclusive commence par exclure… une connaissance minimale de la langue et de ses subtilités, ou par sanctuariser l’ignorance, comme on voudra. D’autres exemples de « rectifications » de pratiques « réactionnaires » ont par le passé laissé des arrière-goûts amers comme, par exemple, le fait de décréter égaux les douze degrés de la gamme chromatique, alors que la musique « réactionnaire » tonale s’y refusait… et qu’une étude minimale des bases physiques de la musique – voire une simple écoute donnant la priorité aux sens plutôt qu’à une prétention intellectuelle – permet d’en saisir le bien-fondé.

Contrôler les masses en s’appuyant sur leur ignorance est évidemment plus facile que les élever dans la connaissance, c’est pourquoi de tous temps des volontés politiques hégémoniques ont tenté de détruire préalablement le substrat commun des peuples, « ce qu’il reste quand on a tout oublié », afin de pouvoir construire un « homme nouveau » et malléable sur une base vierge. Le langage, dont l’évolution progressive au cours des siècles obéit à des règles extrêmement subtiles et non aux schémas paranoïaques – oserons-nous dire complotistes ? – de domination patriarcale évoqués par certain(e)s, fait évidemment partie de ce socle commun, au niveau le plus profond puisqu’il conditionne la communication entre les êtres. Mais l’écriture « inclusive » a toutefois un avantage : permettre d’éliminer rapidement les discours sans intérêt. Lorsqu’un texte commence de la sorte, on sait qu’il est inutile de lire la suite.

François Roby

 

 

Notes

[1] Certains résolvent le problème en disant que la Terre est plate, mais c’est une réponse qui soulève bien d’autres questions.

[2] L’allemand étant une langue à déclinaisons, je simplifie ici en donnant seulement le nominatif. Toutefois, pour l’article défini, la règle de l’identité entre le féminin singulier et le pluriel reste valable aussi pour l’accusatif et le génitif, seul le datif ayant une forme propre au pluriel.

[3] Langage inclusif (ou épicène) se dit geschlechtergerechte Sprache en allemand. À vos souhaits.

[4] Certaines universités allemandes ont commencé à le faire… en rajoutant du féminin.

Voir aussi, sur E&R :

 
 






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19 Commentaires

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  • #2344394
    Le 17 décembre 2019 à 09:33 par sankara
    L’écriture inclusive exclut-elle quelque chose ?

    "Mais l’écriture « inclusive » a toutefois un avantage : permettre d’éliminer rapidement les discours sans intérêt. Lorsqu’un texte commence de la sorte, on sait qu’il est inutile de lire la suite."
    Comme c’est vrai ! Je ne lis plus les chroniques de Schneiderman et autres progressistes depuis qu’ils se sont mis à l’inclusif... C’est insupportable !

     

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  • #2344401
    Le 17 décembre 2019 à 09:46 par Amiral
    L’écriture inclusive exclut-elle quelque chose ?

    C’est un abus de langage de dire que "le masculin l’emporte sur le féminin". On devrait plutôt dire "en français, c’est le masculin qui traduit la neutralité".

    D’ailleurs il existe déjà du neutre dans notre langue, dans les pronoms démonstratifs : c’, ceci, cela. Et tous s’emploient au masculin :

    On dit bien "c’est beau !" et non pas "c’est belle !", même en étant face à LA mer ou à UNE montagne. De même qu’on s’exclame "c’est impressionnant !" et non pas "c’est impressionnante !", même en parlant de LA Tour Eiffel ou d’UNE attaque de lionne.

     

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    • #2344457
      Le Décembre 2019 à 11:16 par Pépé le Moko
      L’écriture inclusive exclut-elle quelque chose ?

      " On dit bien "c’est beau !" et non pas "c’est belle !", même en étant face à LA mer ou à UNE montagne. De même qu’on s’exclame "c’est impressionnant !" et non pas "c’est impressionnante !", même en parlant de LA Tour Eiffel ou d’UNE attaque de lionne."

      Arrêtez de leurs donner des idées !!!

       
  • #2344475
    Le 17 décembre 2019 à 11:53 par Pépé le Moko
    L’écriture inclusive exclut-elle quelque chose ?

    Et pourquoi on dit " une verge " alors que c’est les mecs qui se " la " trimbale , et " un vagin " alors que c’est les meufs qui ce " le " trimbale ?!?

    Ça serait quand même plus logique de dire " un verge " , et " une vagin " ... nan ?!?

    Allez ouste ... au " boulot " !!!

     

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  • #2344480
    Le 17 décembre 2019 à 11:56 par cocher mouché
    L’écriture inclusive exclut-elle quelque chose ?

    Un texte qui commence par de l"inclusive" exclut automatiquement les personnes lettrées et rationnelles du lectorat. Comme le sous-entend l’article, c’est pratique.
    Cette écriture compliquée, pédantesque et parasitaire est exclusive aux gauchis à prétention diplômée, craignant leurs supérieurs hiérarchiques, atteints de scoliose comportementale. On la trouve donc presque uniquement dans les administrations, et établissements de déséducation, enthousiasmant les zétudiants incultes.
    C’est le masculin, bravement, gentiment, qui est inclusif : il accepte le féminin, le neutre, les gens, les choses et les animaux pêle-mêle. Exemple : mon cheval, ma femme et la carriole ont pris la route. ILS se sont retrouvés dans le fossé (car pas de cocher mâle) mais sont tous indemnes.
    Pas un homme dans l’affaire ! Si ce n’est pas de la généreuse inclusion, du partage de masculinité avec le monde entier, bande d’inclustiffs !

     

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  • #2344574
    Le 17 décembre 2019 à 13:39 par Maurice
    L’écriture inclusive exclut-elle quelque chose ?

    Personnellement, j’aime pouvoir dire le secrétaire ou la secrétaire, le ministre ou la ministre....

    Aux obsédés du genre grammatical, je connais deux langues sans féminin ou masculin :
    l’Anglais et le Turc.

    Les femmes sont-elles moins opprimées dans les pays anglophones et turcophones que dans les pays latins ?

     

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  • #2344606
    Le 17 décembre 2019 à 14:22 par Le Malicieux
    L’écriture inclusive exclut-elle quelque chose ?

    Hahaha, j’invite les gens a prendre connaissance de la littérature institutionnelle de l’université du Québec à Montréal ( uquam ),pionnière du phénomène depuis les années 80.

    Illisible...

     

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  • #2344626
    Le 17 décembre 2019 à 14:46 par H. K. Daghlian
    L’écriture inclusive exclut-elle quelque chose ?

    La seule réponse que donnerait un jeune d’aujourd’hui, premier concerné par le sujet est : « mdr g pa lu »
    L’écriture inclusive vient rajouter une couche de confusion chez ceux qui ont déjà du mal avec la langue. Comme le dit l’article, loin d’être inclusive, cette écriture vient exclure toute émancipation intellectuelle qui viendrait par la maitrise de la langue et de l’expression par la lecture, indispensables pour avoir un esprit structuré. Ce n’est pas simplement un projet de féministes décérébrés, ceux qu’il faudrait observer sont plutôt ceux qui sont au manettes de cet énième nivellement par le bas destiné au peuple.

     

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  • #2344693
    Le 17 décembre 2019 à 16:42 par Igor Meiev
    L’écriture inclusive exclut-elle quelque chose ?

    C’est idéologique, c’est tout. C’est une guerre que mènent les déconstructeurs sous prétexte du sens. Ils prétendent ériger, mais ne font que détruire.

    Il est fort logique que les esprits égarés génèrent une écriture égarée du fond de leur sphère mentale visciée.

     

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  • #2344913
    Le 17 décembre 2019 à 22:14 par Medusaraft
    L’écriture inclusive exclut-elle quelque chose ?

    "Les cons, connes, ils, elles, osent tout, c’ est à ça qu’ on les reconnait "...

     

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  • #2345584
    Le 18 décembre 2019 à 21:41 par Saint Thomas
    L’écriture inclusive exclut-elle quelque chose ?

    À croire qu’ils doivent payer les lettres,ou qu’ils en ont un nombre limité à écrire. Des guignols suçant l’effet de mode du jour en attendant le prochain. Pitoyable. Pourtant des fautes j’en fait, mais là ça m’irrite la pupille.

     

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