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La Chine sans œillères

À entendre l’avalanche de mensonges déversée sur ce grand pays par les médias occidentaux, on finit par se poser la question : peut-on encore considérer la Chine sans œillères ni préjugés, sans concession ni malveillance, en la regardant telle qu’elle est et non telle qu’on voudrait qu’elle fût ?

 

Dès qu’ils daignent en parler, nos médias la décrivent en des termes qui oscillent toujours entre la crainte et le mépris. Assoiffée de richesses, jetant ses tentacules sur la planète, trompant son monde en affichant un pacifisme de façade, d’une brutalité sourde qu’on soupçonne, prête à exploser, derrière les faux-semblants d’un discours lénifiant, la Chine serait comme l’ogre de la fable qui finira, un beau matin, par manger les petits enfants. L’imagerie coloniale la représentait au XIXème siècle sous les traits d’une cruauté raffinée, mais ce raffinement n’est plus de mise. À croire nos éditorialistes et nos experts, la Chine nouvelle n’enrobe plus ses appétits voraces de ces raffinements surannés. Ce qu’elle veut, c’est « dominer le monde », tout simplement. Appelée à devenir la première puissance économique mondiale, elle réclame sa part d’hégémonie planétaire, elle revendique la première place sur le podium. Mais elle veut surtout, nous dit-on, imposer son modèle, promouvoir ses valeurs, s’ériger en exemple destiné à l’imitation des nations.

Cette vision d’une Chine conquérante et prosélyte est d’autant plus surréaliste que les Chinois font exactement le contraire. Persuadés que leur système est unique, ils ne cherchent à convertir personne. Qu’ils exportent des marchandises, achètent des terrains ou construisent des ponts à l’étranger, ils défendent évidemment leurs intérêts. Mais leur ambition n’est pas de repeindre le monde aux couleurs de la Chine. À choisir, ils préféreraient sans doute qu’on ne les imite pas, car chaque peuple doit trouver sa voie par lui-même, quitte à commettre ces erreurs de parcours sans lesquelles aucune réussite n’est méritoire. Comme le disent si bien les spécialistes de la langue chinoise – qui, eux, connaissent bien leur sujet – la pensée chinoise est empirique et pragmatique. Elle affronte les faits, elle en subit les corrections successives et poursuit son avancée tant bien que mal. Réticente aux idées abstraites, elle admet volontiers qu’il n’y a pas de recette toute faite. C’est pourquoi il faut renoncer à l’idée que les Chinois cherchent à diffuser leur modèle et cesser de prêter à ce grand pays des rêves de conquête qui n’existent que dans l’imagination de ses détracteurs. Mais nos experts patentés ne l’entendent pas de cette oreille. Concluant une émission de C dans l’Air dont le titre est déjà tout un programme (« Qui peut arrêter la Chine ? »), Valérie Niquet, chercheuse à la Fondation de la recherche stratégique, opposait en ces termes le modèle européen et le modèle chinois :

« La Chine, c’est l’anti-Europe, par exemple. Nous, on tente de surmonter ce qui faisait les relations internationales du passé, le conflit, l’usage de la force pour régler les tensions. La Chine, elle, s’en tient aux comportements du XIXème siècle ».

Faut-il en déduire que la Chine aurait un goût prononcé pour « l’usage de la force en vue de régler les conflits » ? Pourtant, rares sont les Afghans, les Libyens, les Irakiens, les Syriens et les Yéménites à avoir péri sous des bombes chinoises. Pays européens, la France et le Royaume-Uni, en revanche, ont causé avec leur grand allié américain – et en utilisant divers intermédiaires – des centaines de milliers de morts et des dévastations sans nom en violant les règles internationales les plus élémentaires. Mais ce n’est pas nouveau. Accuser l’autre de ses propres turpitudes relève d’une inversion maligne dont le discours occidental est coutumier. Dire que la Chine, contrairement à l’Europe, « s’en tient aux comportements du XIXème siècle », dans la même veine, traduit un consternant mélange d’arrogance et d’ignorance. Car à cette époque, ce n’est pas l’empire chinois, mais les puissances impérialistes européennes qui pratiquaient la conquête territoriale et le pillage colonial. Les Chinois en savent quelque chose. Avec les « guerres de l’opium », Britanniques et Français ont envahi le « pays du milieu » pour le contraindre à signer des traités infamants et accepter l’importation massive de cette drogue aux effets délétères. Pire encore, en 1860, un corps expéditionnaire réunissant les forces des deux nations fait irruption dans Pékin et met à sac le splendide Palais d’été des empereurs Qing. Indigné, Victor Hugo condamna ce forfait en écrivant ces lignes amères :

« Nous Européens, nous sommes les civilisés, les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. L’Empire français a empoché la moitié de cette victoire, et il étale aujourd’hui, avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d’été. J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée ».

Cette spoliation, la France préfère l’oublier, et elle donne aujourd’hui des leçons de morale à un pays qu’elle a pillé il y a 150 ans, comme si ses ignominies passées lui conféraient un certificat de vertu pour le présent. La Chine, elle, n’a rien oublié, mais elle n’en éprouve aucune haine. Cette vieille humiliation, elle entend l’effacer en retrouvant la place légitime qui est la sienne dans le concert des nations. Ce qu’elle veut, c’est tourner définitivement la page de cette ère chaotique initiée par les guerres de l’opium et la décadence de l’empire des Qing. Nul besoin, pour y parvenir, d’imposer quoi que ce soit à qui ce soit. Modèle sans imitation possible, empire sans impérialisme, la Chine est par excellence une puissance pacifique. Mais elle ne l’est pas seulement par choix politique, ses dirigeants modernes ayant fait le choix du développement et proscrit l’aventure extérieure. Elle l’est aussi pour une raison plus profonde, et plus difficile à cerner pour un esprit occidental. C’est que la centralité imaginaire de l’empire lui a forgé un destin, le vouant à s’occuper d’abord de ses sujets et de leur bien-être avant de s’intéresser au reste du monde. Pays du milieu, la Chine reçoit en priorité l’influence bénéfique du ciel, qui est rond, tandis que la terre est carrée. Elle est située au centre du monde par un décret intemporel qui lui ôte l’envie d’en conquérir les marges. Cette périphérie du monde habité, en effet, ne sera jamais aussi intéressante que le cœur même d’un empire dont la gestion est déjà une lourde tâche.

Prêter des ambitions conquérantes à ce pays, par conséquent, est aussi absurde que lui reprocher de vouloir exporter son modèle, puisque ce dernier a pour vocation de rester unique. Si la Chine est pacifique, c’est donc en vertu d’un statut cosmologique dont le privilège s’accompagne d’une promesse d’innocuité à l’égard de ses voisins. « Les armes sont des instruments néfastes et répugnent à tous. Celui qui comprend le Tao ne les adopte pas », disait Lao-Tseu. Clef de voûte du monde habité, l’empire du milieu se condamnerait à la décomposition s’il se dispersait aux marges, il se dissoudrait dans l’informe s’il renonçait par ambition aux dividendes d’une sereine centralité. Or cette pesanteur de l’imaginaire chinois ne concerne pas seulement le monde des idées. Transposée dans le monde réel, elle détermine un habitus que les donneurs de leçons occidentaux devraient méditer, quitte à s’en inspirer pour leur propre gouverne : un grand pays qui n’a fait aucune guerre depuis quarante ans, en effet, mérite tout de même quelque considération. Hormis le bref règlement de comptes avec le Viêt Nam (1979), il faut remonter jusqu’à l’affrontement frontalier avec l’Inde (1962) et à la guerre de Corée (1950-1953) pour trouver la trace d’une guerre dans laquelle la Chine se serait engagée. Encore faut-il préciser que ces conflits se déroulèrent à ses frontières immédiates, et non dans de lointaines contrées convoitées par on ne sait quel expansionnisme. Mais cette attitude pacifique d’un empire auto-centré n’intéresse guère nos démocraties guerrières, devenues expertes en bombardements humanitaires, en embargos qui affament les peuples pour la bonne cause et en révolutions téléguidées de l’étranger.

Comme on l’a relevé, les Occidentaux, à propos de la Chine, oscillent toujours entre la crainte et le mépris. Ils ont exigé à grand cri qu’elle participe à la mondialisation des échanges, et ils se lamentent des parts de marché que ses entreprises enlèvent haut la main. Multipliant les injonctions contradictoires, ils lui reprochent à la fois d’en faire trop et pas assez, d’être désespérément pauvre et scandaleusement riche, excessivement rapide et exagérément lente, décidément trop libérale quand elle n’est pas trop dirigiste. Ils lui demandent de sauver la croissance mondiale – ce que Pékin a fait au lendemain de la crise financière de 2008, provoquée par la rapacité des banques américaines – mais sans se montrer trop gourmande en matières premières. Ils voudraient qu’elle continue à se développer, mais en renonçant aux outils de son développement, comme sa souveraineté monétaire, son puissant secteur public et sa prudente tutelle des marchés financiers. L’attitude occidentale frôle parfois le comique. Lorsque la Chine, après avoir connu des taux de croissance annuels à deux chiffres, redescend en douceur à 6,4 % (2018), on entend les experts d’un pays européen qui se traîne à 1,5 % faire la fine bouche et pronostiquer la catastrophe : c’est vraiment l’hôpital qui se moque de la charité ! En Occident, on aime dire que la Chine reste un pays pauvre, avec ses centaines de millions de travailleurs sous-payés. Mais la réalité chinoise se transforme plus vite que les représentations des experts occidentaux, car les luttes des salariés de l’industrie – dans un pays qui connaît des conflits sociaux réglés par la négociation, comme partout ailleurs – ont abouti à une hausse conséquente des salaires, au point d’inquiéter les investisseurs étrangers.

En fait, la Chine est un grand pays souverain, fier de son identité culturelle, attaché à la loi internationale et décidé à se faire respecter sur la scène mondiale. Il n’agresse ni ne menace aucun État, ne finance aucune organisation terroriste ou subversive chez les autres, n’inflige aucun embargo ni aucune sanction économique à d’autres États souverains et refuse obstinément de se mêler de leurs affaires intérieures. Le contraste est saisissant avec l’attitude des États-Unis et de leurs alliés européens, qui passent leur temps à intervenir chez les autres de façon unilatérale, sous de faux prétextes et en violation flagrante de la loi internationale. Si toutes les grandes puissances se comportaient comme la Chine, le monde serait plus sûr et moins belliqueux. Il serait beaucoup moins assujetti – avec les risques énormes que génère cette dépendance – aux intérêts sordides des multinationales de l’armement. Car les Chinois n’ont qu’une base militaire à l’étranger quand les USA en ont 725. Ils dépensent 141 dollars par habitant et par an pour leur défense quand les Américains en dépensent 2 187. Ils n’ont qu’un porte-avions, tandis que les USA en ont douze. Et encore la Chine a-t-elle accompli un effort de réarmement significatif depuis dix ans face aux initiatives belliqueuses de l’Oncle Sam. Si elle avait pu, elle s’en serait passée. Tandis que les USA se cramponnent désespérément à leur hégémonie finissante, les Chinois savent qu’ils sont la puissance montante et qu’il ne sert à rien de précipiter les événements. Le pacifisme de la Chine est l’envers de sa réussite économique, quand le bellicisme des USA est le reflet de leur déclin. Au lieu de faire la guerre en vivant à crédit, la Chine a compté sur son savoir-faire pour développer son tissu économique, et le résultat est palpable.

Quand on voyage en Chine en 2019, on ne voit pas un pays en voie de développement, mais un pays développé. La modernité et la fiabilité des moyens de transport y sont impressionnantes. Les métros sont flambant neuf, d’une propreté, d’une fonctionnalité et d’une sécurité à toute épreuve. Dans celui de Canton, troisième ville chinoise avec 14 millions d’habitants, il n’y ni SDF, ni pickpocket, ni tag, ni mégot, ni papier par terre. Les passagers attendent sagement leur tour si le train est bondé, et aux heures de pointe les rames se succèdent toutes les 30 secondes. En dépit de leur gigantisme, les gares et les aéroports fonctionnent comme du papier à musique. Les retards sont rares, les billetteries automatisées, la signalétique irréprochable (même pour les étrangers). Des toilettes gratuites sont disponibles partout. Les lignes aériennes intérieures desservent toutes les villes importantes, et les avions sont ponctuels, propres et confortables. Les gares et les lignes à grande vitesse offrent aux Chinois une gamme de déplacements dans l’ensemble du pays à des tarifs raisonnables. Un aller simple Canton-Nanning, par exemple, soit 550 km de LGV, coûte 169 yuans (23 euros) quand le salaire moyen est de l’ordre de 3000 yuans (410 euros). Depuis dix ans, les progrès sont fulgurants. La Chine avait 700 km de LGV en 2007, 11 000 km en 2013, 23 000 en 2016, et l’objectif est d’atteindre 40 000 km, soit l’équivalent de la circonférence de la terre.

Il est frappant que ces infrastructures, pour la plupart, aient moins de dix ans. D’une modernité sidérante, elles sont le fruit d’une politique massive et délibérée d’investissements publics. Décidée au lendemain de la crise financière de 2008, cette politique a sauvé une croissance mondiale malmenée par l’irresponsabilité de Wall Street. Elle a aussi permis d’accélérer la marche du pays vers la « société de moyenne aisance » qui est l’objectif majeur des dirigeants du pays. Pour franchir cette nouvelle étape de leur développement, les Chinois comptent sur le dynamisme d’un vaste secteur privé, notamment dans les services. Mais ils utilisent aussi un puissant réseau d’entreprises d’État qui ont bénéficié de la taille critique du marché intérieur chinois pour s’imposer à l’échelle internationale. Le meilleur exemple est sans doute celui de l’entreprise de construction ferroviaire CRRC, devenue numéro un mondial pour la production de trains à grande vitesse. Active dans 102 pays, cette entreprise compte 180 000 employés et affiche un revenu qui dépasse les 30 milliards d’euros. Elle construit 200 trains par an, contre 35 pour le duo Siemens-Alstom. Cette réussite d’un mastodonte public a de quoi faire réfléchir les tenants du libéralisme sur les véritables paramètres de la croissance économique, mais il y a peu de chance qu’ils en tirent les conclusions qui s’imposent. Ils préfèrent croire que les recettes libérales vont sauver le monde des affres du sous-développement.

En Occident, lorsqu’elle réussit, la Chine fait peur. Lorsqu’elle manifeste des signes d’essoufflement, elle fait peur aussi. On lui reproche d’utiliser son secteur public pour gagner des parts de marché, tout en brandissant comme les Saintes Écritures une idéologie libérale qui prétend que le secteur public est inefficace. En attendant, les Chinois continuent de penser, avec Deng Xiaoping, que peu importe que le chat soit noir ou gris pourvu qu’il attrape les souris. En Chine, l’État contrôle les industries-clé : charbon, acier, pétrole, nucléaire, armement, transports. Ce ne sont pas les récriminations occidentales qui vont inciter ce pays souverain à modifier sa politique. Il a payé assez cher la construction de son modèle de développement et il n’a pas envie d’y renoncer pour faire plaisir aux puissances étrangères. La Chine est entrée toutes voiles dehors dans les grands vents de la mondialisation, mais elle n’a pas l’intention de lâcher le gouvernail parce que les Occidentaux ne savent plus le tenir. Contrairement à nous, les Chinois s’inscrivent dans le temps long. Tandis que nous subissons la dictature du court terme, ils regardent loin devant. Il y a deux siècles, la Chine était encore l’atelier du monde. Du tiers de la production mondiale en 1820, au moment de son apogée, elle est passée à moins de 5 % en 1950. La décadence de la dynastie Qing et l’intrusion européenne – puis japonaise – ont précipité son déclin, ouvrant une ère calamiteuse dont les convulsions révolutionnaires du XXème siècle furent la conséquence. Il n’est pas étonnant que la Chine veuille désormais retrouver l’éclat de sa jeunesse en utilisant les ressources matérielles et spirituelles d’une culture plurimillénaire.

Dans la nouvelle phase de son développement – « la société de moyenne aisance » – la Chine moderne entend développer son marché intérieur en favorisant l’émergence des classes moyennes. Mais elle veut aussi extraire de la pauvreté les populations les plus démunies. Il est significatif que les Chinois, quand ils louent la politique de leurs dirigeants, citent à la fois la lutte contre la corruption – qui est extrêmement populaire – et la lutte contre la pauvreté. Dans les villages chinois, on peut voir des tableaux affichés publiquement où figurent les noms des pauvres qui bénéficient du programme d’éradication de la pauvreté et les noms des fonctionnaires chargés de les accompagner personnellement. En un lieu où tout le monde se connaît, cette absence d’anonymat ne semble gêner personne. Chacun sait à quoi s’en tenir, et l’évaluation des résultats au vu et au su de tous – une véritable obsession dans la culture administrative chinoise – en est facilitée. Ce tableau est d’ailleurs affiché en face du bâtiment du comité local du parti communiste, ce qui témoigne de l’intérêt qu’on lui porte. En tout cas, ce dispositif a porté ses fruits. Selon la Banque mondiale, le taux de pauvreté en Chine populaire qui s’élevait encore à 17 % en 2010 est tombé à 3,1 % en 2017. L’encadrement social nécessaire à la mobilisation de tous et la direction par un parti qui fixe les objectifs participent aux yeux des Chinois d’un cercle vertueux dont l’efficacité est patente.

C’est aussi la raison pour laquelle les cris d’orfraie de la presse occidentale à propos de la « note de crédit social » ne semblent pas rencontrer le même écho chez les Chinois. Qu’on soit sanctionné pour avoir commis des délits ou des incivilités ne les trouble guère. Au contraire, la mentalité régnante pencherait plutôt pour la sévérité dans un pays où l’application de la peine de mort va de soi. La présentation de ce dispositif expérimental – qui consisterait selon les médias occidentaux à attribuer une note globale de crédit social à chaque citoyen, susceptible de monter ou baisser en fonction de son attitude dans tous les domaines – ne correspond d’ailleurs jamais à ce que les Chinois en disent. Ils y voient un système permettant de neutraliser les délinquants ou de limiter le surendettement, mais son caractère global – façon « Big Brother » – ne fait pas partie du champ de l’analyse. On peut avancer l’hypothèse que la présentation du dispositif par les médias occidentaux est quelque peu biaisée, puisqu’elle décrit un projet encore embryonnaire comme s’il était quasiment finalisé et prêt à l’emploi. Lorsqu’on en parle avec des Chinois, ils jugent certains aspects du projet peu contestables, alors que l’Occidental formaté par ses médias y voit une entreprise totalitaire contraire à ses propres principes. Cet exemple illustre l’attitude coutumière des médias occidentaux à l’égard du système politique chinois, mais elle montre surtout à quel point nous ne parlons pas le même langage symbolique.

Nous ne voyons aucune contradiction, par exemple, entre l’affirmation selon laquelle la France est la patrie des droits de l’homme et notre participation à des guerres ignobles contre des peuples qui ne nous ont rien fait. Pour les Chinois, c’est absurde. La seule façon de prendre au sérieux les droits de l’homme, c’est de développer son propre pays tout en laissant les autres conduire leurs affaires comme ils le veulent. Nos médias trouvent abominable l’absence de liberté d’expression en Chine populaire, mais dix milliardaires leur dictent une ligne éditoriale monolithique et éliminent impitoyablement toute pensée dissidente. La dictature du parti les offusque, mais celle du capital leur convient. Le système chinois est moins hypocrite. Il est admis depuis 1949 que le parti communiste est l’organe dirigeant de la société et qu’il en fixe les orientations politiques. Ce parti accepte le débat interne mais il ne veut pas de concurrent externe. On peut le déplorer, mais c’est aux Chinois d’en décider. Cette direction unifiée donne sa cohésion à l’ensemble du système, mais elle est jugée sur ses résultats, conformément à une éthique confucéenne où les dirigeants sont tenus de servir et non de se servir. Ancrée traditionnellement dans le culte des ancêtres, la société chinoise n’a jamais été une société individualiste. C’est une société holiste où l’individu s’efface devant le groupe plus vaste auquel il appartient. « Obéis au prince, obéis au maître, obéis aux parents », disait Confucius il y a 2 500 ans. Tous les lundis matin, dans les établissements scolaires, le proviseur procède à la levée des couleurs et tient un discours mobilisateur devant les élèves en rang et en uniforme. Des formules comme « Sois civilisé, sois studieux et appliqué » ornent en gros caractères la cour des écoles. La véritable question est de savoir si ce système symbolique résistera durablement aux assauts de la société de consommation et à l’épanchement individualiste qu’elle entraîne partout où elle passe, y compris dans les sociétés qu’on pensait les mieux armées pour l’endiguer.

Bruno Guigue

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  • #2144953
    Le 15 février 2019 à 10:46 par Citoyens Français
    La Chine sans œillères

    Très bel article, plein de vérités... Mais le désordre ambiant, dont la crise migratoire, les mouvements sociaux violents et les crises de toutes sortes que traversent les capitales occidentales, sont les prémices de la décadence irréversible des ex-puissances coloniales...

     

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  • #2144991
    Le 15 février 2019 à 12:12 par Samsara
    La Chine sans œillères

    Merci monsieur Bruno Guigue.

    A ceux qui pensent que seule la Russie pourrait combattre et battre les ennemis de l’humanité, cette dernière est phagocytée par des traîtres et des étrangers (bolcheviques et autre Elstine) ce qui explique pourquoi Poutine se maintient au pouvoir, il ne trouve pas quelqu’un de fiable qui pourrait lui succéder.
    A contrario, la guerre contre la Chine est commerciale et societale car il est impossible de l’attaquer de front ou militairement et surtout d’y trouver des traîtres ou des étrangers au pouvoir qui pourrait servir des puissances étrangères au lieu du peuple chinois.
    Pas de binationalité possible et tous les membres du gouvernement et du parti sont obligatoirement chinois de naissance ainsi que leurs ancêtres.

     

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    • #2145081
      Le Février 2019 à 15:01 par Le king
      La Chine sans œillères

      Quand la Chine atteindra son apogée, elle entamera alors son déclin inexorable, comme c’est le cas présentement pour l’Occident..,

       
    • #2145114
      Le Février 2019 à 16:24 par Samsara
      La Chine sans œillères

      @ Le king

      Lisez ce qu’en dit monsieur Guigue , retenez que la Chine est peuplé de chinois tous patriotes près à mourir pour leur pays (ce qui explique en partie pourquoi les puissances étrangères n’ont pu la détruire) ,ajoutez à cela que c’est une civilisation multimillénaire utilisant une langue et une écriture d’une puissance rare également multimillénaire (n’oubliez pas que c’est grâce aux chinois que l’on peut instruire tout un chacun à travers le monde à l’aide de leurs inventions inégalé que sont le papier et l’imprimerie ayant permis le livre) et peut être comprendriez vous que votre affirmation est sans fondement.

       
    • #2145246
      Le Février 2019 à 21:13 par Louis XI
      La Chine sans œillères

      "et peut être comprendriez vous que votre affirmation est sans fondement."

      Ils le sont justement et ce fondement s’appelle l’Histoire : les empires se fond et se défont, un empire n’a que deux trajectoires possibles, l’expansion puis la régression, pas plus les Orientaux que les Occidentaux n’échappent à cette règle.

       
    • #2145286
      Le Février 2019 à 22:54 par Samsara
      La Chine sans œillères

      @ Louis XI

      Faire un parallèle d’avec ce que l’Histoire (en majuscule) rapporte vous permet d’affirmer que la Chine va régresser ?
      Quels sont vos arguments et faits pour appuyer vos affirmations ?

       
    • #2145678
      Le Février 2019 à 19:55 par Le king
      La Chine sans œillères

      A Samsara...
      c’est la loi propre aux empires : après l’apogée, le périgée ; aucun Empire, aucune société humaine n’y n’échappent !

       
  • #2145002
    Le 15 février 2019 à 12:36 par voxpop
    La Chine sans œillères

    Clair, limpide, très précis et très bien expliqué. C’est un très bon travail que fait Bruno Guigue sincèrement. Et c’est surtout incontestable.

     

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    • #2145158
      Le Février 2019 à 18:07 par Nypocampe
      La Chine sans œillères

      Quand les prélèvements d’organe forcé sur des pratiquants de Falun Gong cesseront, on pourra parler d’oeillere ou pas, le parti communiste est ce qu’il y a de plus pervers sur cette terre. 100 million de personnes tuer en période de paix. Chercher pas c’est imbattables...

       
  • #2145169
    Le 15 février 2019 à 18:30 par Cocorico
    La Chine sans œillères

    M. Guigue,

    Merci pour votre article.

    Serait-il possible d’avoir votre point de vue sur ce que fait la Chine fait en Afrique, qui de prime abord ne semble pas des plus reluisants dans son aspect "profiteur/spoliateur" (comme tant d’autres avant elle).

    Merci.

     

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    • #2145549
      Le Février 2019 à 15:34 par Samsara
      La Chine sans œillères

      Je suis régulièrement en Afrique de l’ouest où je vois effectivement beaucoup d’infrastructures construite par les chinois mais aucun militaires chinois.
      La France a encore la mainmise sur de nombreux états et ne se gêne pas pour désinformer sur les chinois et les dénigrer (j’ai conversé dernièrement avec un malien qui me disait que les chinois sont profiteurs et raciste, je lui ai demandé un exemple qu’il n’a pas pu me donner en me précisant qu’il l’avait entendu auprès de français ) , un exemple datant de 15 ans auquel j’ai assisté : les chinois ont proposé à la Côte d’Ivoire des bus de meilleure qualité et mieux équipés pour moitié prix du fabricant franco-suisse local, l’offre chinoise à été refusé...
      Par contre, j’ai constaté qu’au sud du Maroc tout le réseau routier est construit exclusivement par des marocains, ce qui n’est pas le cas en Algérie.

       
  • #2145253
    Le 15 février 2019 à 21:33 par Maurice
    La Chine sans œillères

    Je relève dans l’article :

    … les cris d’orfraie de la presse occidentale à propos de la « note de crédit social »...

    Je pense qu’en France nous sommes tout aussi notés et surveillés.

    L’utilisation de la Carte bancaire, du téléphone mobile qui nous géolocalise, de la carte vitale nous font contribuer à ce contrôle. Nous ne le savons pas c’est tout.

    Il y a aussi les notes blanches de la DGSI.

    Nous comprenons ou découvrons leur existence quand nous échouons à un examen, à un concours de recrutement de la fonction publique ou à un entretien d’embauche alors que nous réunissons toutes les conditions de succès.

     

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  • #2145265
    Le 15 février 2019 à 22:09 par De passage
    La Chine sans œillères

    J’aime bien lire Bruno Guigue, lui comme Thierry Meyssan sont des auteurs dont la sincérité transparaît à travers leur écrits.
    Par ailleurs je trouve aussi qu’ils font honneur à l’esprit français : ils sont tous deux foncièrement anti-impérialistes et croient fermement à l’égalité entre les peuples.

    ***
    Quant aux anglo-saxons, rien de nouveau sous le soleil : ils sont mauvais joueurs et mauvais perdants. Bien qu’ils aient inventé des règles à leur avantages ils ne supportent pas de perdre la main à leur propres jeux truqués ! C’est tout simplement savoureux !

    Les british sont plus intelligents que l’oncle Shmuel ; en anciens colonisateurs des chinois, ils savent de quelle fureur est capable le Dragon ! Aussi, en vue de leur Brexit, ils préfèrent l’apprivoiser plutôt que d’aller à la confrontation et prendre ainsi une part du gâteau qui vient.
    L’oncle Shmuel, lui est un abruti fini.. en pleine décadence, il montre ses muscles (en mer de Chine) et aboie tandis que la caravane passe.. sera-t-il assez con pour lancer une première frappe ?

     

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  • #2145341
    Le 16 février 2019 à 02:09 par P.J.
    La Chine sans œillères

    Pour être en Chine je peux vous dire que cet article enjolive bien trop le pays. Des SDF il y en a. Plutôt pas mal même à Canton comme ailleurs. Et ils insistent bien quand ils voient un non bridé passer à côté d’eux. La plupart sont des personnes âgées qui n’ont sûrement plus de famille, donc personne pour les soutenir financièrement dans un pays qui offre peu voire aucune retraite et où la famille a ce rôle.
    La propreté est aussi toute relative. Oui le métro est propre et beau mais il vient d’être construit. Dans les villes plus rurales c’est la saleté qui domine. Le PCR ne prend soin que de ses espaces urbains.
    Article bien trop à charge

     

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  • #2145391
    Le 16 février 2019 à 08:50 par Denis
    La Chine sans œillères

    Merci pour cet article. Je suis expatrié dans la capitale chinoise de fraîche date et travaille justement dans le ferroviaire, secteur cité en exemple dans cet article. Encore en phase de découverte (rude !) et plein de préjugés, j’ai fait la rencontre récemment d’un entrepreneur français dans la maintenance qui m’a beaucoup surpris, voire un peu brusqué, en me décrivant la réalité chinoise (pour reprendre son expression) d’une manière similaire. Il m’avait être introduit comme quelqu’un qui a fait fortune en vendant aux infrastructures chinoises donc forcément un peu baisé mais en lisant cet article je me dis que sa vision du terrain rejoint totalement la vôtre. Voilà qui me fait réfléchir !

     

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  • #2145937
    Le 17 février 2019 à 02:27 par JP
    La Chine sans œillères

    Sauf que :
    Aucun pays occidental n’avait dans sa culture initiale l’idée de devenir Maitre du Monde. Ça leur a pris au fur et à mesure que les profits du capitalisme industriel ou financier y ont dépassé ceux du système économique traditionnel essentiellement agricole. Car comme disait l’autre : "L’impérialisme, stade suprême du capitalisme".

    Alors, certes Bruno Guigue a raison de démonter la propagande occidentale. Celle-ci est d’abord une projection (inversion accusatoire) sur la Chine des propres turpitudes occidentales. La culture chinoise ne possède pas cette essence impérialiste dont elle est accusée.
    Néanmoins, la propagande occidentale pourrait bien voir ses prédictions se réaliser. La raison en serait non pas celle prétendue par la propagande, mais le simple fait que la Chine s’est convertie au capitalisme, or le capitalisme finit toujours, s’il le peut, par s’adonner à l’impérialisme.
    On me dira que le seul projet impérialiste chinois éventuellement visible, ce ne serait qu’un impérialisme économique (OBOR) et non militaire. Oui, da, le capitalisme occidental a su se restreindre à un impérialisme économique (comptoirs commerciaux et contrôle des axes maritimes) tant que l’option militaire n’était pas encore viable face à de grands pays comme l’Inde ou la Chine d’avant le milieu du 19ème siècle.
    Pareillement, aujourd’hui la Chine n’est pas du tout pressée de rentrer dans un conflit militaire avec l’Occident. Mais puisque, comme le relève Bruno Guigue, les Chinois sont pragmatiques, que décideront-ils le jour où l’option militaire sera viable et profitable pour le capitalisme chinois (pour accéder aux ressources et aux marchés) ?

     

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  • #2149202
    Le 22 février 2019 à 09:47 par alex
    La Chine sans œillères

    Sur ce sujet, relire "Orient et Occident" de Rene Guenon.

     

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